Il est ahurissant de constater comme le public peut avoir la peau de l'oreille dure. Qu'il est difficile parfois pour un artiste de se libérer du poids de ses succès passés ! Le phénomène n'est pas nouveau, David Bowie pour renaître à lui-même avait dû tuer Ziggy ; Jim Morrison changer de silhouette, de voix, saborder son propre vaisseau de crystal ; Kurt Cobain, plus radicalement et tristement, mettre fin à ses jours. Le revers, certainement, de cette médaille médiatique qui s'offre, côté face, d'instantanées icônes, pour convertir tout cela, côté pile, en valeur, sonnante et trébuchante.
Pour nombre d'entre nous, Yann Tiersen restera longtemps M. Amélie Poulain, compositeur d'une B.O aussi habile et adaptée à son objet que trop entendue (battue, rebattue et re-rebattue, comme le film lui-même, d'ailleurs, dont on oublierait presque les qualités cinématographiques, d'exaspération). Pourtant, il y a belle lurette que le breton s'est offert d'autres aventures – parmi lesquelles il faudra souligner la bien trop méconnue collaboration avec Shannon Wright le temps d'un album rock délicieux ; mais aussi (et peut-être : surtout) le très acclamé Dust Lane de l'année dernière, pièce de presque-post-rock brumeux, évocateur et terriblement électrique, dans lequel même les plus améliepoulinophobes n'ont pas eu le choix que de reconnaître un nouveau geste artistique, de qualité – mieux que l'album de la consécration : celui d'une écoute renouvelée.
C'est dans le prolongement direct de ce glorieux prédecesseur qu'il faut situer Skyline. Une partie des titres avait d'ailleurs été composée à l'époque de l'écriture de Dust Lane et l'on avait déjà pu en découvrir certains sur scène à l'occasion de la tournée précédente. On remarquera néanmoins que Skyline est, dans l'ensemble, plus lumineux, plus léger. Comme si l'on avait inclu une touche de pop électro-sucrée dans les brumes poussiéreuses. Comme si Air s'était hybridé avec Larmousse ou un Téléfax obsédé par les guitares d'Explosions in the Sky.
Pour finir d'enfoncer ce clou post-électro-pop-rock-là, Yann Tiersen s'est entouré d'une équipe aussi multi-polaire que son art d'écrire : mixage de Ken Thomas (M83, Sigur Ros), musiciens venus d'Orka (Ólavur Jákupsson, voix et claviers), de Gravenhurst (Robin Allender, guitares), de Purr (Stéphane Bouvier, guitare, basse), et d'autres encore. En résulte un album d'auteur, comme on le dirait d'un film, aux directions jamais convenues, aux sonorités toujours inventives, inspiré sans aucun doute – amplement de quoi confirmer qu'Amélie a viré sa cutie et crèche désormais dans un squatt de musiciens-activistes montréalais, en quelque sorte. Quel fabuleux destin ! |