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Le temps qu'il faut  (3H50)  octobre 2011

A force de publier ses albums après de longues périodes de silence, la discographie de Bertrand Betsch paraît assez variée, même si les fondamentaux de son écriture n’ont pas changé. Ayant eu le temps de digérer et oublier les prédécesseurs, chaque nouvel opus nous a paru singulier par sa production et sa ligne directrice. Au petit jeu des classifications, on pourrait dire que La Soupe A La Grimace (1997) est son album le plus riche en mélodies et arrangements chatoyants, BB Sides (2001) le plus lo-fi, Pas De Bras Pas De Chocolat (2004) celui qui contient les styles les plus diversifiés… Quant à La Chaleur Humaine (2007), il apparaît avec le recul comme le disque le plus équilibré de son auteur : moins riche que le premier (tellement bon qu’il en devenait écoeurant), moins dur que le second (tellement intègre qu’il paraissait autiste), moins hétéroclite que le troisième… Si l’on ne peut parler d’album "synthèse" ou d’œuvre "de la maturité" (termes journalistiques qui nous font toujours rire), on peut quand même dire qu’il est le plus classique dans sa forme – ce qui implique sans doute qu’il vieillira mieux que les autres…

Nouvel album "physique" (après la compilation d’inédits Je Vais Au Silence, uniquement numérique), Le Temps Qu’il Faut est sorti il y a quatre mois. Une fois encore, cela n’a pas été sans peine : conçu immédiatement après La Chaleur Humaine, le projet a été proposé à sa maison de disque vers 2008, et refusé : il a donc végété dans un tiroir pendant trois ans, avant de nous parvenir. L’album doit donc être replacé dans sa temporalité réelle : même s’il sort cinq ans après son prédécesseur, on ne peut pas dire qu’il s’en différencie beaucoup par la forme et l’option musicale choisie. C’est plutôt une continuation, et la confirmation de ce qui pointait déjà dans La Chaleur Humaine : l’apaisement progressif du chanteur, moins écorché qu’à ses débuts. Lui qui avait jusque-là décliné tous les registres de la souffrance – au point d’intituler son livre La Tristesse durera Toujours – paraît ici échapper à sa neurasthénie coutumière. Sans forcément devenir gai luron, son désespoir s’est changé en une douce mélancolie, qui nourrit sa création autrement.

Beaucoup de titres de ce nouvel opus affichent donc une couleur optimiste : "Avance Encore", "L’avenir est devant", "Se souvenir des Belles choses", "Tout Est Pardonné" parlent d’eux-mêmes. Hormis "Les Figurants" (paroles négatives et orchestration glaciale) qui jure un peu par rapport au reste, l’artiste distille une note d’espoir au milieu du désastre et annonce d’entrée de jeu : "même si nos vies sont minuscules… il y a encore ta lumière qui me sert de point de repère". Donnant le ton de l’album, "Pour Une Chance" est un single évident, ritournelle pop qui fait plaisir à entendre et se grave en mémoire instantanément. Cette voix douce qui ouvre le bal (avant d’être rejointe par B/B/ sur fond d’accordéon sans flonflon) est celle de Nathalie Guilmot – qui officiait déjà sur La Chaleur Humaine. Elle réapparaît à plusieurs reprises et semble mettre du baume sur les plaies mal fermées de son (ex) compagnon. Sur "Avance Encore", écrite à deux mains, l’alliage est optimal : portée par un rythme allègre, la chanson incite à se bouger les fesses, "même s’il est trop tard, même s’il n’y a plus d’espoir", transformant le négatif en positif (thème récurrent de l’album). Sur la même opposition, "Comme Le Monde Va" commence en reggae light (réminiscence de "Temps Beau", sur Pas de Bras Pas De Chocolat…) et pointe du doigt les multiples avanies d’une société à la dérive. Le refrain, à l’unisson, effectue ensuite un virage à 180° : même si le propos est grave ("que devra-t-on dire à l’enfant qui viendra ?"), la tendresse partagée atténue la noirceur, et l’on en sort revigoré plutôt que déprimé. Sur ce même mode "berceuse malgré la catastrophe", Nathalie Guilmot entonne à la fin du disque une comptine (cachée après la piste 14) sur les beautés de l’hiver, qui tempère la désillusion du "Soir" chanté juste avant par Bertrand…

En somme, la voix de Nathalie Guilmot est utile lorsqu’elle contraste avec celle, toujours un peu plaintive, de Bertrand Betsch. Mais sur certains titres languissants chantés de façon plus univoque, le mélange fonctionne moins bien : "La Voix du Vent", que l’on avait découverte en 2008 lors d’un live acoustique sur Aligre FM, pêche par excès de sucre. Malgré la mélodie superbe, les voix à l’unisson deviennent doucereuses et le carillon rend l’ensemble un peu mièvre, avec un côté boy-scout. Il y manque ce petit contraste qui faisait le sel des morceaux pré-cités. Idem pour "L’Avenir Est Devant" : Bertrand chante les couplets en solo d’une voix presque éteinte – et quand Nathalie le rejoint au refrain, c’est la catastrophe : la douceur redoublée devient redondante, la beauté se mue en joliesse, la tendresse en mollesse… On a subitement envie de les secouer, pour les sortir de leur cocooning vocal engourdissant !

Dieu merci, tout le disque n’est pas de cet acabit et des morceaux plus pop rehaussent l’ambiance : "Avance Encore", dont on a déjà parlé, est excellent ; "Je N’ai Pas Eu le Temps" sublime la déception amoureuse – une relation trop brève – avec guitare électrique limpide et batterie qui donne envie de danser. Ses breaks plus calmes permettent à l’auteur d’immiscer de petites touches sensuelles – "le dessin de tes lèvres qui faisait monter la fièvre… ton ventre qui bâillait, les portes qui claquaient" – à sa joyeuse complainte. Le temps (ses aléas, ses avanies) est le thème général autour duquel s’organise le disque. Cela induit des chansons plus ouvertement poétiques, moins directes que celles écrites par le passé. Ainsi, le tu et le nous est-il préféré au je, ce qui donne aux textes une tournure plus globalisante. Mais on peut aussi très bien écouter l’album sans tenir compte de cet aspect "conceptuel" ; on y entendra juste des chansons sur de grands thèmes universels…

Toujours pop mais un poil plus acide (avec break joliment distordu), "Juste Un Peu de Bruit" repose sur un motif guitaristique simple qui, répété en boucle avec une boîte à rythme et un mélodica, est si "catchy" qu’on aimerait qu’il ne finisse jamais. A propos du mélodica, il faut noter que c’est lui qui donne sa couleur particulière aux arrangements de l’album. Dans son excellent livre La Tristesse Durera Toujours, Betsch liait cet instrument à l’idée d’enfance (de l’art), trouvant sa simplicité en accord avec le statut d’ "éternel débutant" qu’il revendique. La forme rejoint le fond : ces mélodies attachantes bercées d’instruments jouets portent des textes évoquant les paradis perdus. Dans le genre, "Les sables mouvants" est exemplaire : cette plage paisible déroule des clichés d’enfance enfuie (sur la plage, justement) sans niaiserie ni nostalgie vieux con. Le synthé joue un thème d’orgue de barbarie, un petit accordéon complète le tableau : la force de la mélodie dépasse le lieu commun de l’orchestration typiquement "chanson réaliste" et, par les réminiscences qu’elle provoque, nous confronte à notre propre mémoire.

On le voit, Betsch a délaissé les arrangements luxuriants de ses débuts pour s’orienter vers une simplicité de bon aloi, un assèchement "pauvre mais beau" (pour reprendre un titre de Dino Risi), allant à l’essentiel. Il ose des structures répétitives qui, à force de ressasser certains clichés, les fait accéder à la poésie par la grâce d’une mélodie inspirée. C’est le cas avec le splendide "Se Souvenir Des Belles Choses" : sur un motif tournoyant de synthés très doux, il déroule la litanie des petits plaisirs dont il faut se souvenir pour survivre "quand le monde a la peste". Les premiers vers sonnent un peu creux ; puis la répétition du motif nous les impose en douceur ; et lorsqu’il conclut en évoquant "le lait de la tendresse humaine", on est conquis : la chanson a pris de l’ampleur (à mesure que l’orchestration allait crescendo), le cliché est devenu une évidence.

Dans le même genre répétitif qui commence à agacer mais finit par émouvoir, citons aussi "Des Journées Dans Les Arbres" : la voix du chanteur n’avait jamais paru si forcée, si haut perchée (évidemment, puisqu’elle est dans les arbres…). Poussée à ce point, sa fragilité semble un peu exhibitionniste, et l’on ressent un petit malaise. Puis, à mesure que les mots répètent leur credo, la mélancolie entame son travail de sape et cette nudité des cordes vocales finit par toucher la corde sensible. Au final, retournement de perspective : on tient là un de nos morceaux préférés du disque (ce qui n’était pas gagné d’avance).

Après "Les Figurants" et "Comme Le Monde Va", belles chansons inquiètes dont on a déjà parlé, et le morceau très dépouillé qui donne son nom au disque, l’album se conclut en beauté : "Tout Est Pardonné" (encore un titre emprunté au cinéma) est digne de figurer parmi les plus belles chansons de son auteur. Là encore, il emploie les mots les plus simples et "bateaux" pour écrire l’évidence (la magnanimité qui sauve la vie). On frôlerait le lieu commun s’il n’y avait cette musique : très pure, avec ukulélé et mélodica pour la part d’enfance, qui transcende la simplicité du texte et le rend universel. On est loin des "Complaintes du Psycho-Killer" et autres morceaux hargneux d’antan. Sans tomber dans le béni-oui-ouisme, on aime qu’un artiste autrefois torturé chante enfin les plaisirs de la vie. Le vers "La nuit éclaire le jour qui suit" suggère que la mélancolie assumée peut avoir un rôle constructif… et introduit le dernier morceau : "La Nuit", justement, où le chanteur "attend le soir pour ne plus rien y voir" et échapper aux horreurs du dehors. Il s’accompagne d’une guitare électrique lancinante… avant que d’autres instruments le rejoignent, pour un final grandiose sans être tape-à-l’œil. Ensuite, la comptine dont on a déjà parlé clôt le disque sur un bel épilogue.

Au final, les réserves de départ sont vite passées, et ce disque s’avère, une fois de plus, un bon cru. Sans doute moins diversifié que les précédents, il apparaît plus monochrome dans les thèmes et orchestrations, avec quelque chose de doux et lancinant (mélancolie positive) qui n’explose jamais : l’apaisement revendiqué nous prive de ces morceaux-monstres qui donnaient un côté spectaculaire aux albums de jadis. Ce que l’on perd en surprise, on le gagne en cohérence : alors que les précédents disques de B/B étaient durs à avaler d’une traite (soit parce qu’ils étaient trop riches, soit parce qu’ils s’étiolaient avant la fin – rayez la mention inutile), celui-ci s’écoute en entier, avec une douce montée en puissance. Les morceaux s’enchaînent sans heurts, tout coule de source sans que (presque) rien de dissonant trouble le plaisir. Certains y verront une faiblesse, prendront cet apaisement pour un renoncement, l’harmonie pour de la monotonie, etc. D’autres trouveront qu’à force de parler du temps qui passe et de poétiser des lieux communs, il finit par être pontifiant. C’est un risque à courir… De notre côté, on apprécie que Bertrand Betsch ait complété sa palette discographique avec cet album salutaire, qui laisse de côté la douleur et cherche l’harmonie. Le Temps Qu’il Faut nous a accompagné tout l’hiver : sa "chaleur humaine" rassure quand il fait froid et que tout va mal. On pourra juger ça mièvre. Mais en ces temps de crise et de cynisme généralisé, il est vital que quelqu’un chante la bonté sans second degré et invite à "se souvenir des belles choses". Nous, en tout cas, on se souviendra de ce disque.

 

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En savoir plus :
Le site officiel de Bertrand Betsch
Le Myspace de Bertrand Betsch


Nicolas Brulebois         
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