Monologue dramatique de Jean-Luc Lagarce dit par Denis Sanglard dans une mise en scène de Michel Alban.
"L'apprentissage" constitue avec "Le voyage à La Haye" et "Le bain" la trilogie connue sous le titre "Trois récits" qui figure parmi les derniers écrits de Jean-Luc Lagarce et traite de la maladie et de la mort mais tout autant - sinon plus - de la déliquescence du corps, de l'évanescence de la vie et du détachement comme accès à un autre niveau de conscience.
Qualifié par l'auteur lui-même de "récit de renaissance", ce texte court dans lequel il évoque "l'incomparable plénitude d'être en dedans de soi" est également celui de la laborieuse réappropriation de son enveloppe charnelle après la double dépossession du corps, envahi par la maladie en premier lieu, puis déshumanisé et réduit à l'état d'objet par un personnel soignant efficace mais dépourvu d'affects.
Brève chronique d'une mort physique annoncée encore une fois repoussée, ce texte est bouleversant car il ne verse pas dans le compassionnel et milite pour l'altérité vécue et partagée par la parole qui peut sauver de l'anéantissement anticipé.
Souvent porté sur scène, ce texte d'une richesse insoupçonnée est à chaque fois une redécouverte et, Denis Sanglard, qui l'avait déjà investi en 2002 dans ce même Théâtre du Guichet Montparnasse, et sous la même direction sensible et symbiotique de Michel Alban, en livre une approche d'une qualité exceptionnelle, bouleversante aussi bien sur le plan intellectuel qu'émotionnel.
La renaissance, une renaissance douloureuse, commence avec les bruits de la ville, puis le silence et une ampoule clignotante rouge derrière le pan tombant d'un dais de toile métis à l'ancienne couleur crème comme les deux immenses draps à même le sol entre lesquels repose un minuscule gisant, immobile, les yeux clos, l'ombre portée du léger renflement évoquant le monticule de terre recouvrant une tombe.
Puis un souffle imperceptible et des mots égrenées, venant d'ailleurs, les mots d'une conscience qui est passée derrière le miroir et qui revient à la réalité par le véhicule d'un corps dans lequel va se déployer la pensée, puis une voix intérieure qui résonne et raisonne pour lui seul encore emmuré dans la mutité et dans l'ignorance des autres qui ne lui parlent pas, aussi bien un proche, que la grosse fille préposée aux soins qui lui parle à la troisième personne et, plus loin dans le passé, ses parents.
Le jeu minimaliste, au sens de dépourvu d'effet théâtral, et introspectif de Denis Sanglard, comédien rompu à l'art du bûto, qualifié de danse des ténèbres et de la métamorphose, exacerbe autant la poétique du texte que la crudité d'une lucidité imparable même si elle est teintée de dérision.
Et, plus qu'un jeu. Un cri. Une incarnation. Pour croquer une fois encore les cerises de la vie. |