Tragédie de Jean Anouilh, mise en scène de Marc Paquien, avec Véronique Vella, Bruno Raffaelli, Françoise Gillard, Clotide de Bayser, Benjamin Jungers, Stéphane Varupenne, Nâzim Boudjenah, Marion Malenfant, Laurent Cogez, Carine Goron et Maxime Taffanel.
"Antigone", la pièce la plus célèbre de Jean Anouilh, créée en 1944, en pleine Occupation allemande, ode à la Résistance, poème du "Non", est montée pour la première fois à la Comédie-Française.
Sous les murs de Thèbes le corps du frère désobéissant d'Antigone est jeté aux vautours, interdiction étant donnée par Créon, le roi, de l'ensevelir. Défiant l'interdit, la petite Antigone se faufile, de nuit, et recouvre ce corps de quelques pelletées de terre. Malgré le fiancé aimé, la peur du châtiment mortel, la jeune fille a décidé d'aller au bout de son destin, de refuser les facilités du bonheur et de périr plutôt que de ne pas désobéir.
La pièce a connu, au cours de ses représentations successives, des mises en scène pseudo-politiques plus ou moins réussies. Au Français, une sobriété claire la renvoie aux grandes tragédies antiques dont elle est issue même si Jean Anouilh, comme Jean Giraudoux, aime rajouter du film et de l'automobile - il faut être de son temps - aux toges et aux portiques.
Marc Paquien, metteur en scène subtil, a posé trois portes, comme trois réponses à l'existence : par oui, par non, par la non-participation. Antigone sait laquelle choisir.
Antigone, c'est Françoise Gillard, frêle, oiseau, la volonté reployée dans ses petites épaules, étonnante d'énergie, de vie, existant à chaque seconde de son jeu, brûlante.
Face à elle, dans une composition étonnante, Bruno Raffaéli incarne un Créon, rond, méridional, parrain et bon tonton des familles, habité par le pouvoir et la puissance, redoutable sanglier en costume de ville, le menton luisant de sang de ceux qui ont traversé son chemin, broyeur d'Antigone après le boniment, excellent comédien effrayant dans les oripeaux de la normalité. Bravo !
Stéphane Varupenne, qui montre davantage, à chaque spectacle, sa nature de grand, compose un garde interrogé, fonctionnaire, zélé, bon lecteur de son manuel militaire, avec une drôlerie inquiétante et un sens de son rôle bouleversant..
La sublime Clotilde de Bayser joue le choeur, excellente comme toujours, aux côtés de Véronique Vella, nourrice méconnaissable. Enfin, Nâzim Boudjenah incarne un fiancé déchiré et aimant avec conviction.
Entendre Anouilh, sa langue pure, ses accents, dits par ces gens-là constitue une des joies les plus utiles, politiquement indispensables, et change l'âme, comme un rayon de soleil éclaire une vallée.
Il y a une vraie grâce dans cette Antigone chez Molière. |