Au Grand Palais, l'exposition "Bohèmes" dédiée à la fameuse "vie de bohème" dont se réclament les artistes consacre une salle à Montmartre, qualifiée de "académie de la bohème", aux enseignes et affiches des cabarets "Le Lapin Agile" et "Le Chat Noir".

Pour aller au-delà de la simple monstration et s'approcher de la bohème originelle, le Musée de Montmartre propose une exposition exceptionnelle, articulée autour du premier cabaret littéraire, artistique et musical, qui en raconte l'histoire et rend compte de la synergie qu'entretenaient les cabarets montmartrois avec la vie artistique de l'époque.

Intitulée "Autour du Chat Noir - Arts et Plaisirs à Montmartre 1880-­1910", l'exposition a été conçue de manière judicieusement didactique sous le commissariat de Phillip Dennis Cate, conseiller scientifique du Musée de Montmartre et spécialiste de l’art français du 19ème siècle, qui a réuni plus de trois cents oeuvres et documents provenant en partie de collections privées et jamais montrées au public en France.

Malgré les contraintes architecturales du lieu qui n'est pas un white cube mais un ancien immeuble d'habitation, Frédéric Beauclair a élaboré une épatante scénographie pour accompagner un parcours thématique, pourvu de nombreux cartels explicatifs, scandé par le répertoire de la chanson montmartroise.

Suivez le Chat Noir....

L'affiche du cabaret "Le Chat Noir" réalisée par Steinlein, retenue comme visuel pour l'affiche de l'exposition, est connue du monde entier comme une des plus emblématiques du Paris de la fin du 19ème siècle et plus particulièrement du quartier populaire de Montmartre réputé pour le pittoresque de ses cabarets, estaminets et caf'conc qui constituaient autant de lieux de rassemblement tant social que cosmopolite.

Mais "Le Chat Noir" ne fut pas un cabaret tout à fait comme les autres puisque, s'il ne fut pas le premier ouvert, précédé par "Le Lapin Agile", il fut le premier cabaret artistique, creuset de l'avant-garde artistique désargentée avant qu'elle n'émigre à Montparnasse.

Créé en 1881 au 84 boulevard Rochechouart par Rodolphe Salis qui le présentait comme un "cabaret de style Louis XIII fondé par un fumiste", lui-même arborant un costume de mousquetaire dans son portrait réalisé par Antonio de la Gandara, il fédère les artistes, poètes, peintres et musiciens dits "modernes" en rupture avec l'académisme et publie une revue hebdomadaire qui fait fureur.

Lieu d'exposition du groupe des Incohérents à l'humour absurde et antibourgeois mené par Jules Lévy, il accueille chanteuses et chansonniers ainsi que l'extraordinaire théâtre d'ombres, l'ancêtre du cinémascope, créé par les peintres Henri Rivière et Henry Somm.

Le théâtre d'ombres devient l'attraction phare du Chat Noir et une salle lui est dédiée avec la présentation de plusieurs des décors originaux réalisés en bois et zinc.

L'esthétique et la thématique des pièces présentées telles "La Marche à l'Etoile" (mystère en 10 tableaux) ou "La tentation de Saint Antoine" (Féérie à grand spectacle) ont été sources d'inspiration tant pour le théâtre d'avant-garde (avec des costumes dessinés par Paul Sérusier pour le Théâtre de l'OEuvre) que pour les peintres symbolistes et les Nabis.

A ne pas rater l'exigu cabinet graphique consacrés aux Arts Incohérents avec les lithographies d'Alfred Jarry et de Pierre Bonnard pour le recueil de textes de poèmes et chansons "Le Répertoire des Pantins", le dessin de Edouard Vuillard pour le programme du Théâtre Libre créée par André Antoine et la "Mona Lisa avec une pipe" de Eugène Bataille, comme quoi Marcel Duchamp et Martial Raysse n'ont rien inventé.

Mais cette exposition ambitieuse, et réussie, invite le visiteur à feuilleter non seulement quelques pages d'Histoire, celle de la IIIème République et de Paris, avec l'Age d'or de Montmartre, mais également de l'histoire des arts plastiques, celles des arts du spectacle et de l'histoire de l'Art.

Ainsi, le cirque est-il évoqué avec ses saltimbanques, jongleurs et les clowns, dont les fameux Footit et Chocolat.

Une large place est faite aux café-concerts avec ses enseignes mythiques signées Toulouse-Lautrec, Steinlein , Jules Grün ou Jules Chéret, telles celles du "Bal Tabarin", "Le Divan Japonais", "L'Elysée-Montmartre" et "le Mirliton" ouvert par Aristide Bruand à la place du Chat Noir après son déménagement.

L'occasion d'évoquer les artistes qui s'y produisaient dont lui-même, chantre de la chanson montmartroise, mais aussi Yvette Guibert, et les danseuses telle Loïe Fuller, réputée pour sa danse des voiles bien avant Isadora Duncan.

Sans oublier le survivant, "Le Bal du Moulin de Rouge" avec ses danseuses de cancan dont La Goulue et La Môme Fromage.

Une exposition à prendre le temps de parcourir en détail tant sont abondantes les signatures de ceux, peintres, affichistes, caricaturistes, musiciens, entrés dans l'Histoire de l'art, de Satie à Debussey, de Toulouse-Lautrec à Maurice Denis, de Adoplhe Willette, peintre zutiste, le zut étant le cri de ralliement de la bohème, à Alfred Jarry, qui ont laissé leur empreinte sur la Butte.