Après l'ahurissant Colin Stetson il y a deux semaines, retour au Tourcoing Jazz Club pour voir et découvrir Limousine, quatuor français de jazz, nous dit-on.
Parce que de quoi Limousine est-il le nom ? Laissons de côté la ruminante, malgré ses grands yeux mouillés, et ne gardons de la voiture bling-bling que le confort et l'idée de déplacement. En ayant dans un coin de la tête le film Holy Motors et son Monsieur Oscar, le déguisement sincère, les possibles illimités, le spectateur-auteur et ramifié.
Sur scène Limousine, ce sont quatre messieurs joueurs : clavier aux accents de basse, batteur habité, guitariste libre, et saxophoniste (parfois au clavier aussi) au jeu à la fois chaud et cru. On a pu lire que leur musique était "cosy" voire "lounge", mais c'est un brin réducteur : plus qu'un son uniforme chaque musicien existe pleinement; bien que leur son enveloppe, le live donne une présence folle à chacun que les autres respectent tout en générant une réelle osmose où parfois des sourires s'échangent, ou parfois tous ont les yeux fermés.
La belle image de ce saxophoniste, sur le tout premier titre, assis les jambes croisées, les yeux fermés, la tête penchée, comme une pensée précise. Et on trouve à les entendre à la fois une idée de digression mais aussi une obstination, une persistance, un allant. L'espace et le temps sont peut-être en cause ; pour la néophyte, leurs titres ont des accents venus de plein d'endroits : d'Italie, du Brésil, de la côte ouest états-unienne, parfois de tout un continent dans un seul morceau où le saxo se fait arabisant et la batterie tribale africaine. Jusqu'à atteindre la stratosphère avec l'épique "The Reindeer", intergalactique et martial kubrickien.
On ne déambule pas parmi tous ces paysages : on avance, à grandes enjambées farouches, épaules en avant contre le vent. Et dans la durée : chaque titre est assez long pour qu'on s'y installe, qu'ils s'épanouissent. Lorsqu'ils se déploient à la façon de paysages, c'est pour éclore de façon intense et tenir, et quand chaque instrument se pose, ça ne laisse pas mourir le son : on ne l'entend plus mais il est comme parti ailleurs. Les mélodies sont "jolies" mais propres, aigues, pas rêveuses, elles ont une texture un peu trop saturée, surexposée qui maintient, accentue l'attention comme la rouille. Et la matière de cette musique y trouve sa densité qui nous laisse inlassables.
Seul regret : que nous n'ayons pas été plus nombreux dans cette petite salle bleutée à écouter défiler ces morceaux d'épopées modernes à bord de Limousine, voiture que l'on croyait de luxe mais qui est d'exception, et tous terrains.
Si, un autre petit regret, de saison : que ce soir-là n'eût été le dernier soir du monde, on serait partis réconciliés avec bien des choses. |