Réalisé par Judith Abitbol. France. 1h43. (Sortie 5 juin 2013). Avec Nathalie Richard.
Certains ont rêvé du dispositif mis en place dans "À bas bruit" par Judith Abitbol.
Mais ils n'ont pas osé ou su aller jusqu'au bout d'un tel projet parce qu'il faut du courage, et encore plus de l'assurance et un bel aplomb, pour mener à bien une entreprise consistant à filmer la lecture intégral d'un texte, en l'occurrence un scénario, par une seule et même actrice et ne filmer, à quelques plans près, que cette lecture.
Évidemment, Judith Abitbol ne s'est pas aventurée dans cet exercice de radicalité la fleur au fusil. Elle a d'abord choisi une actrice magnifique, riche d'un vrai passé cinématographique dont le premier événement marquant fut d'avoir fait partie de "La Bande des quatre" ludique de Jacques Rivette, et qui, depuis, a poursuivi une carrière de comédienne qui a su plonger au cœur de toutes les expérimentations possibles.
Au milieu de sa vie, Nathalie Richard n'a rien perdu de son charme et a gagné une fragilité d'adulte qui s'accroche à son monde intérieur enfantin. Sa voix un peu rauque, son visage bienveillant, sa grâce de petite bonne femme prête à tous les combats artistiques, tout cela éclaire sa lecture lumineuse d' "À bas bruit".
Car le deuxième atout de Judith Abitbol est un texte épatant, totalement imprévisible, entre sur et hyper réalisme, dans lequel une bouchère peut s'appeler Agathe et avoir dans la tête bien autre chose que des pensées de commerçante.
La bouchère improbable d' "Au bas mot" a sans doute lu "Locus Solus" de Raymond Roussel et s'est attardée devant "La mariée mise à nue par ses célibataires, même" de Marcel Duchamp.
Quelquefois, la caméra de Judith Abitbol quitte le cadre ascétique dans lequel Nathalie Richard lit son texte, c'est-à-dire une pièce dans laquelle il n'y a qu'une chaise et une table, genre lutrin ou table d'architecte, sur laquelle repose le texte du scénario. À l'écran, en gros plan, apparaissent alors des schémas ou des croquis qui vont servir à la bouchère pour réaliser son grand dessein, que le spectateur curieux découvrira à la toute fin de la passionnante lecture de Nathalie Richard.
"À bas bruit" de Judith Abitbol se mérite et ceux qui auront vaincu leur appréhension, la peur idiote de l'ennui qui saisit tant de gens quand on les prévient que le récit sera déconstruit ou au contraire d'une rigueur janséniste, seront diablement récompensés.
Pas la peine du long couplet attendu : à l'heure où tout est formaté, où l'on confond création et récréation, le travail de Judith Abitbol, beau formellement, intelligent et formidablement éclairé par l'interprétation de Nathalie Richard, tranche sur tout le reste et doit être vu.
Que le cinéma en 2013 puisse encore ouvrir de nouveaux champs d'investigation, c'est peut-être un des bonnes nouvelles de ce printemps morose.
Exploration rigoureuse mais qui ne se prend pas tant au sérieux que ça, "À bas bruit" de Judith Abitbol vaut tout le palmarès du Festival de Cannes. Avec une voix et un texte, elle donne à voir et à imaginer bien plus que tous les films coûteux dégoulinant d'effets spécieux. |