Dans la vie, il y a des choses que l’on ne fait pas souvent, par exemple gravir l’Everest, écouter de la musique Néo-zélandaise, dire du bien de Zaz, être heureux, trouver une émission d’NRJ12 intelligente, arrêter de fumer... J’ai décidé de reprendre ma vie en main et de changer ça, en commençant par écouter de musique Néo-zélandaise, ça me semble la chose la plus facile. A part The Bats et Flight of the Conchords, – mais eux, c’est plutôt de la blague New Yorkaise, même si c’est très bien – on n’en écoute jamais et c’est bien dommage, ou pas. Et ça tombe rudement bien puisque les hasards de calendrier font qu’un duo néozéaldais, French For Rabbits, sort son premier album ! Holala la vie est bien faite !
En tant que français, je ne sais pas comment je dois prendre le nom du groupe, comme beaucoup de français je suis un effectivement un chaud lapin, j’aime manger du lapin, je suis mignon et doux comme un lapin, et vous, amis lecteurs, vous êtes mes petits lapins d’amour, donc oui je vais plutôt prendre ça comme un compliment, étrange certes, mais bon à prendre. C’est d’autant plus étrange que c’est compliqué de trouver quoi que ce soit qui sonne français dans leur musique. Si je devais rapprocher leur musique d’un pays, je pencherai plutôt pour l’Islande, d’ailleurs dans mon imaginaire, l’Islande et la Nouvelle Zélande se ressemblent, de grands pays insulaires où il y a plus d’animaux que d’humains, aux paysages grandioses et magnifiques qui incitent à la douceur, à la contemplation, à la mélancolie. Et c’est exactement ce que propose Brooke Singer & John Fitzgerald, une "dream pop" qui donne envie de grands espaces, de travelling en hélicoptère et de rêveries éternelles...
Faire de la musique des rêves, c’est prendre parfois le risque d’être simplement soporifique et ennuyeux, rien de tout cela ici, c’est brillant et excitant. La douceur et la pureté du timbre de Brooke y sont pour beaucoup, même si l’on peut regretter que sa voix soit quelquefois un peu trop noyé sous de la réverbe, comme certaines guitares, oui la réverbe ça fait rêver, c’est connu. Pourquoi j’évoquais l’Islande plus haut, c’est parce qu’on retrouve un peu de Sigur Rós dans Spirits des French for Rabbits, c’est le même esprit, sans mauvais jeu de mot. Il y a des similitudes certes dans l’ambiance mais aussi dans la manière de composer, c’est-à-dire ce goût pour les envolées musicales, comme une spirale montante, comme une valse infinie, on retrouve également des jeux de voix, ici pas de Vonlenska mais à l’anglais se mêlent des onomatopées comme de longs râles qui ajoutent encore à ce sentiment de rêverie, l’impression d’être quelque part entre le sommeil et l’éveil, dans du coton, dans les nuages, dans de la barbe à papa.
Il ne faudrait toutefois pas croire que c’est un disque d’ambiant atmosphérique, ou un synthé se bat en duel avec une guitare sèche, c’est vraiment un disque de pop, avec de vraies chansons dont certaines faussement calmes et douces comme peut l’être une nuit orageuse, ce n’est pas qu’un disque à écouter "le soir au coin du feu durant les longues soirées d’hiver", Francis Cliché, bonsoir. Il y a du rythme, de riches arrangements, de vraies mélodies. Les chansons sont construites précisément, avec minutie, elles savent ménager leur effet, ne pas en faire trop dans le grandiloquent ou dans l’apitoiement, cela donne un album avec dix chansons d’une grande cohérence, qu’on retrouve même dans une chanson plus traditionnelle en forme de "hit single" comme "Gone Gone Gone", ou dans la supplique "The Other Side".
Ce papier n’a pas de chute, n’a pas de conclusion car quand on est si bien dans un disque, dans un univers, on ne voit pas pourquoi cela devrait se terminer, on a juste envie que le voyage se prolonge encore et ne jamais se réveiller.
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