"You can’t win. The Beast will appear. But only to you. And no one believes you. No one"
De Daniel Knox, on ne connaît pas grand-chose, deux disques : Disaster en 2007 et Evryman For Himself en 2011 qui forment, avec un troisième à venir une trilogie, quelques collaborations (avec David Lynch, Rufus Wainwright, Andrew Bird ou Jarvis Coker pour qui il a fait les chœurs pour son album Further Complications). Qu’importe, il est bon aussi, parfois, de juste se plonger dans un disque sans en connaître beaucoup plus sur son auteur. De toute façon, son portrait fait par Gregory Jacobsen qui sert d’artwork en dit plus sur lui, sur sa présence, son charisme, le côté étrange qui l’habite que toutes les biographies du monde.
Après deux albums très lo-fi, comme enregistrés pour lui-même (en tout cas dans un presque strict dénuement), ce nouveau disque est d’un tout autre tonneau puisqu’il a été produit par Greg Norman à Electrical Audio, le studio de Steve Albini. Un professionnalisme qui donne enfin la pleine mesure de la musique de Knox, de la finesse des arrangements (on trouve des cordes, des cuivres, un vibraphone agencés avec goût et qui sonnent très Britanniques), du jeu des timbres et de l’intelligence de l’instrumentation, mais surtout de sa voix de baryton, comme du velours, qui rappelle tout aussi bien un Tom Waits, un Scott Walker, un Nick Cave, un Chris Isaak ou un Neil Hannon, avec quelques années de plus. Une musique qui, au-delà de toute technique ou phénomène de mode compositionnel, est une instance clairvoyante et profonde, une esthétique de l’âme.
Knox aime les errances nocturnes, clochard céleste des temps modernes. Plus jeune, il profitait de ces virées pour entrer, plus ou moins par effraction, dans les hôtels pour y jouer et apprendre les rudiments du piano. On imagine la scène, surtout qu’il se faisait souvent virer manu militari par les gardiens. La musique comme une passion viscérale, à assouvir tout autant que le cinéma sa vocation première (mais non réalisée, l’américain ne trouvant pas son compte dans la pédagogie et le processus collaboratif de l’école).
Toujours en équilibre sur une ligne de flottaison intime, Daniel Knox nous offre de superbes chansons mid tempo de marins restés à terre, un cabaret sauvage, de la pop baroque. Une musique intense, profonde et parfois étrange comme un film de David Lynch (avec qui il est très proche humainement et esthétiquement, la vidéo phobique et dérangeante de "Blue Car" en est un parfait exemple), belle comme des photos de John Atwood ou Stéphane Merveille.
Une musique qui porte sur les sombres souvenirs son enfance (la culture de la violence, le harcèlement, les difficultés scolaires…) dans sa ville natale de Springfield. Des chansons du niveau émotionnel de High Pointe Drive, des albums de ce calibre, il n’y en a pas beaucoup par an. Passer à coté serait une grossière erreur.