Texte de Julien Prévieux, mis en scène par Vincent Thomasset, avec David Arribe, Johann Cuny, Michèle Gurtner, François Lewyllie et Anne Steffens.
Julien Prévieux, lauréat du prix Marcel Duchamp 2014 pour le projet "What shall we do next ?", dont le titre se réfère directement à l'antienne de l'analyse transactionelle "What do you say after you say hello ?", qui interroge le vocabulaire corporel du quotidien comme révélateur de mécanisation et de déshumanisation, est un artiste multidisciplinaire qui, sous l'angle distancié de l'humour, explore avec sagacité les pratiques sociales
Ainsi, s'est-il intéressé à au recrutement professionnel dans la société post-moderne dans laquelle, à l'ancienne embauche effectuée par le patron dans un rapport bilatéral direct, s'est substituée une procédure du recrutement, menée par une émanation administrative de l'entreprise, qu'il analyse comme un jeu social ayant instauré un rituel du recrutement auquel appartient la lettre de candidature à une offre d'emploi.
De manière facétieuse, ce qui n'exclut aucunement ni la sagacité ni la subtilité "politique" du procédé, il a inversé la logique du processus en en envoyant des lettres de non-motivation, pour décliner la proposition contenue dans certaines annonces l'interpellant par leur atypisme sémiologique, qui, paradoxalement, sont motivées et argumentées en ce qui concerne les raisons du refus du postulant fictif.
Par cette figure rhétorique qui dynamite et inverse, le rapport de force en positionnant le demandeur d'emploi en maître du jeu, et selon une combinatoire du détournement, de l'ironie et de l'humour lovée sous l'apparence de la facétie canularesque, Julien Prévieux dénonce la violence du potentat économique, introduit, avec la liberté assumée de refus, une stratégie de résistance subversive et, de surcroît, explore la fonction du langage.
Un florilège de ces lettres publiées sous le titre "Lettres de non-motivation" est porté sur scène par le metteur en scène Vincent Thomasset qui, dans une proposition en totale adéquation avec le matériau original, relève brillamment le défi de la transposition scénique, ardue et souvent statique et laborieuse, du genre épistolaire.
En effet, il les aborde comme des impromptus, dont simplement un des interlocuteurs serait physiquement absent, propices au jeu théâtral d'autant que, déclinées de manières diverses et variées tant au plan langagier que sémantique, elles permettent d'esquisser le profil psychologique de leur auteur potentiel qui devient personnage.
Par ailleurs, il évite l'écueil du format uniforme et répétitif "annonce-réponse" en inscrivant chaque séquence dans un registre spécifique de jeu théâtral ce qui concourt à une astucieuse structure en patchwork aussi éclairante que divertissante dont le point d'orgue consiste en la réponse délivrée comme un drame cornélien qui démontre l'impact majeur des intonations et des inflexions permettant de faire abstraction du sens des mots utilisés.
Mené par un quintet de comédiens épatants - François Lewyllie en fragile Droopy, Anne Steffens en gisquette tenace, Johann Cuny en gymnaste vintage, Michèle Gurtner irrésistible notamment en Betty Boop mâtinée "maîtresse" comme David Arribe dans son couplet dénégatoire à la Bartleby - le spectacle s'avère aussi éclairant que divertissant.
Une superbe réussite.