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Interview  (Montreuil)  janvier 2016

Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années : on pourrait appliquer cette citation au chanteur Pierre Lebelâge, 30 ans, jeune pousse grandie sur un terrain doublement fertile (mélange de chanson à texte exigeante et de mélodies pop 60’s), dont les premiers fruits s’avèrent particulièrement goûteux. On a déjà dit le bien qu’on pensait de son album inaugural, Babel. On l’a ensuite vu en concert (son premier en tête d’affiche) le 20 juin 2015 au Forum Léo Ferré, et gardé à l’œil depuis. Alors qu’il continue les premières parties de prestige (Philippe Torreton et Jean Guidoni, excusez du peu), il fourbit ses armes pour sa deuxième grosse date : le vendredi 19 février prochain, dans la mythique salle des Trois Baudets, chère à l’écurie Canetti (dont Brassens, son maître à penser). Lebelâge lui, fait partie de l’équipe Tacet – la très respectable maison de disque du regretté Allain Leprest – et il a de qui tenir… avec ce petit supplément de soleil dans la voix (il vient du Sud) et dans les compos (biberonné aux Beatles), qui font sa singularité.

Nous le rencontrons en janvier à Montreuil chez son producteur Didier Pascalis, au terme d’une journée de répétition en vue du concert. C’est, nous dit-il, sa première interview (depuis, le site Hexagone est aussi passé par là, nous coupant – gentiment – l’herbe sous le pied). Malgré une œuvre somme toute assez réduite (un unique album, onze chansons), le jeune artiste a des choses à dire sur son art, et nous enregistrons la bagatelle de… 2h40 ! L’entretien qui suit est la retranscription de la première moitié seulement (avec quelques petites coupes, ici et là). Il est focalisé sur le disque, la scène, les nouvelles chansons. Le reste suivra sans doute dans les semaines à venir, traitera de détails personnels ou approfondira certains points laissés en suspens ici, notamment ses influences littéraires.

On verra qu’en dépit de sa jeunesse, Lebelâge a une vision claire de son métier. S’il lui arrive de douter (ou lui sait gré de ne pas être arrogant, malgré l’évidence du talent), il ne transige pas avec sa singularité : se réclame des grands anciens, tout en cultivant son jardin, qui ressemble moins à un pré-carré rabougri qu’à un futur grand et beau paysage, où fleuriront des chansons ouvertes sur le monde. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

Tu es ici pour préparer la nouvelle mouture de ton spectacle avec deux musiciens, Johanne Mathaly et Eliott Weingand. Qui est-ce qui supervise le travail d’arrangements ?

Thierry Garcia, qui a déjà arrangé le disque. On prend pas mal d’arrangements qui existaient sur l’album, adaptés et retravaillés pour laisser de la place à un nouveau-venu : le violoncelle.

La configuration précédente – au Forum Léo Ferré, deux guitares – était trop limitée ?

Oui, deux guitares ce n’était pas évident. Limité parce qu’on est dans les mêmes fréquences. On cherchait un instrument plus grave pour remplir davantage l’espace. Le violoncelle peut passer à l’archet, faire des « nappes »… c’est beaucoup plus intéressant.

Tu as un niveau guitaristique assez fort pour proposer un arrangement ?

Un arrangement complet, non. Je suggère surtout au niveau rythmique ; pour ce qui est du domaine harmonique, je suis autodidacte, donc j’entends des choses, j’essaye de les reproduire, mais n’ai pas assez de connaissances en musique pour faire des arrangements. Je me concentre vraiment sur les textes et mélodies. Arrangeur, c’est un autre métier, et Thierry m’ouvre à des choses nouvelles. Sur scène, je ne suis qu’à la rythmique, pour des questions pratiques : quand on chante, c’est difficile de sortir de l’accompagnement traditionnel. Eliott, le second guitariste, est surtout dans l’emploi du contrechant, il souligne certaines phrases écrites – en reprenant pas mal d’arrangements du disque.

Ton disque est un curieux (et agréable) alliage entre une écriture chiadée, directement héritée de la grande "chanson à texte"… et des mélodies presque pop. Qui sont tes référents musicaux au départ ? Pour les textes, on sent une veine Brassens / Lapointe…

Je connaissais Boby Lapointe parce que mes parents l’écoutaient. Mais la découverte de la chanson française à texte, ça a été bien plus tard, après 20 ans. Via Georges Brassens. Avant, j’ai été nourri aux Beatles, Beach-Boys, Doors… la pop des années 60-70. J’ai joué dans pas mal de groupes qui reprenaient ce répertoire-là. Par la suite, quand j’ai découvert Brassens, j’ai calqué des éléments rythmiques et harmoniques de ses chansons. Je suis vraiment sorti avec lui de mes premières amours Beatles – j’étais fou des Beatles, surtout pour leur côté mélodique : j’aime bien Lennon pour la démarche… mais les mélodies de Paul McCartney, la ligne de basse, etc., j’adorais ça.

Du coup, on retrouve ces deux mamelles de ton inspiration, respectivement dans les textes et la musique.

J’écris le texte d’abord, assez classiquement, à la Brassens. Après, quand il est terminé, j’essaie des musiques dessus : ça doit être toujours assez facile, assez simple mélodiquement. Et il est vrai que, musicalement, je ressors un peu ce que j’ai aimé à mon adolescence. Une chanson comme "Pas demain la vieille" notamment, est très pop, je trouve.

Les Beach Boys et Beatles avaient des chœurs très travaillés. Ca te manque, dans la chanson à texte, ce travail sur les couleurs vocales ? Tu aimerais aller vers ça plus tard ?

C’est justement ce qu’on est en train de faire, pour le spectacle des Trois Baudets… On travaille les chœurs avec les musiciens. A trois voix dans les refrains, mais aussi sur des passages musicaux : sortir un peu de la chanson en mode récital, le texte du début à la fin… Aménager des plages pour faire ressortir ce côté-là. On l’a déjà travaillé sur deux ou trois titres, ça fonctionne bien. On a eu quatre jours de répétition, plus une résidence trois jours début février, pour fixer tout ça. Parce que la nouveauté, cette fois, c’est que je lâche la guitare sur certains morceaux : plus de tabouret. Je serai parfois assis, d’autres fois debout, ça va bouger plus.

Ca te pesait, ce côté chanteur sur tabouret ?

Pour la voix, je me suis aperçu que j’avais pris des habitudes… C’est très confortable de jouer assis, mais du coup tu es en avant, tordu sur l’instrument, et pour le chant c’est très difficile. Bouger un peu plus va être bénéfique au chant.

Tu as pris des cours de chant entretemps ? Ou c’est la scène qui t’a fait comprendre ça ?

J’ai senti que ça m’empêchait d’aller plus loin. Assis, tu as tes repères, c’est difficile d’en changer. Mais j’ai essayé, ça m’a plu, je me suis senti libéré et du coup je chante plus droit. Bon, je ne suis pas vraiment chanteur, je suis plutôt quelqu’un qui écrit des chansons… D’ailleurs, il n’était pas question que je les chante, avant de rencontrer Didier… C’est lui qui m’a incité. Il m’a dit que j’avais un truc dans la voix, une particularité.

Au départ, que comptais-tu en faire, de tes chansons ?

Je voulais écrire pour les autres. J’avais écrit un titre pour une amie, qui voulait faire un court-métrage : "Le Cas Sandra". C’était mon premier texte. Je l’avais enregistré chez moi, guitare-voix, un peu amateur, pour illustrer le petit film. Le court n’a pas été primé, mais des radios associatives ont repéré le morceau, l’ont isolé de la bande-son, et se sont mises à le passer. J’ai trouvé ça un jour sur Internet. Ca m’a encouragé à en écrire d’autres. Je me suis retrouvé avec trois titres ("Le Cas Sandra", "Ma métisse", "Les Malheurs du funambule"), quand ma femme m’a inscrit à un concours sur Paris, "Vive la reprise !".

Le texte du "Cas Sandra" s’inspirait du contenu du court-métrage. Avant, tu n’écrivais pas de chansons ?

Non, jamais. Dans mes groupes, on faisait essentiellement des reprises. J’ai découvert Brassens trois ou quatre avant ce premier texte. Ca se sent dans certaines formules… Des expressions que je n’emploierais plus, parce que trop marquées. Il a mis son empreinte sur certaines choses, ça devient difficile à réutiliser ensuite.

L’exemple le plus évident dans cette chanson, c’est la rime "fesse / confesse"…

Voilà ! Dans "La Dame aux caméléons", aussi, il y a des tournures qu’il aimait bien, comme "frapper à son huis", je m’en suis rendu compte après coup…

Quand j’ai rencontré Didier Pascalis, il y a deux ans, pour le livre "Allain Leprest – Gens que j’aime", on a fini sur toi, et il m’a parlé de ta découverte dans ce concours de chanson.

Pour "Vive la Reprise ! ", cette édition-ci, il fallait faire une chanson du répertoire d’Anne Sylvestre (qui était à l’honneur – présidente du jury - cette année-là), une compo perso et une reprise du répertoire français. J’avais joué "Destinés", de Guy Marchand : j’aimais bien ce côté décalé, et puis j’adorais la mélodie… D’Anne Sylvestre, "Un Mur pour pleurer". Et de moi, "Ma métisse". C’est à l’issue de ça que Didier m’a proposé de bosser avec lui et faire un disque.

Tu n’as pas remporté le concours, mais tu lui as tapé dans l’œil.

Je n’ai pas eu de prix. Et c’est parce que je n’ai pas eu de prix qu’il est monté sur scène en disant qu’il avait envie de faire un bout de chemin avec moi… Moi, je ne connaissais pas Didier Pascalis, je ne savais pas qui il avait sur son label… On me disait "mais tu ne sais pas ? C’est le producteur d’Allain Leprest !". Et moi : "mais qui c’est, Allain Leprest ?" (rires). Je me demandais ce qu’il me voulait, ce gars ; je ne savais pas trop où j’allais, n’avais pas trop envie de chanter… Au début, je voulais surtout écrire pour des interprètes. Et puis ce concours a accéléré les choses, et je me suis retrouvé avec cette proposition.

C’est intéressant : tu arrives dans ce concours en léger dilettante, et on te propose quelque chose de royal…

Oui, je n’étais pas chanteur, je ne me sentais pas bien sur scène, étant très introverti, ce n’était pas du tout mon univers. Je n’écrivais pas de chansons pour aller dans la lumière. Mais Didier m’a incité à tenter, en me disant que j’avais quelque chose dans la voix, une signature vocale, un timbre particulier. Il m’a dit : "surtout ne le travaille pas, ne prends pas de cours de chant, ou tu vas le perdre". Et Thierry Garcia, à qui je confiais ma gêne, m’a dit la même chose. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à éprouver du plaisir en scène.

Tu souffres, durant les concerts ? Au Forum, en juin, tu es resté environ 1h15 sur scène.

Oui, j’ai tendance à perdre ma voix. Alors j’ai commencé à travailler, chanter tous les jours chez moi, ce que je n’avais jamais fait auparavant. Jusque-là je faisais des premières parties, 20 minutes, ça allait. Quand je suis passé sur 1h15, au bout d’une quarantaine de minutes, la voix perd un peu, elle descend, il faut forcer. Alors, je ne travaille pas le placement de la voix, mais je chante tous les jours pour muscler.

Le concours et la rencontre ont eu lieu en quelle année ?

2010. Gaëlle Vignaux avait gagné "Vive la reprise !" cette année-là. J’ai fait quelques premières parties d’Allain dans la foulée, fin 2010. Ma première chanson, date de 2009. Didier m’a demandé si j’en avais beaucoup…. Comme j’avais envie de faire un disque, j’ai acquiescé. Ce n’était pas tout à fait vrai… (rires). J’ai donc écrit l’album sur deux ans.

Quel rapport as-tu eu avec Leprest, que tu as croisé chez Didier Pascalis ? Qu’est-ce qu’il a pu t’apporter comme conseils ?

On ne parlait pas du tout de ça. Il m’impressionnait beaucoup. Quand Didier m’a fait écouter ses disques, j’ai senti la mesure du géant que c’était…

Ca a eu une incidence sur ton exigence d’écriture ? Quoique avec Brassens comme modèle…

Non, je l’avais déjà. Et j’avais aussi lu beaucoup de poètes. En particulier Clément Marot et La Fontaine.

Et c’est cette exigence-là, mâtiné de souvenirs pop de ta jeunesse, qui donne cette dualité intéressante à tes chansons…

Voilà, j’ai fait un mélange de ce qui me faisait vibrer au niveau du texte, cette rigueur classique que j’aime beaucoup, les sonorités, le travail sur les allitérations… et une musique pop qui me venait naturellement. Enfin, pop, c’est un grand mot… Des mélodies qui se sifflent, disons.

Dans les textes, tu recherches souvent l’astuce, le jeu de mot – une tendance que n’avait pas forcément Brassens…

J’aime bien jouer à détourner des expressions. Ca me vient comme ça, je note et je construis une chanson autour. Du moins, les premières chansons, je les ai écrites ainsi, sans idée bien précise de ce qu’elles allaient devenir : je commençais à écrire autour d’une expression, et petit à petit une histoire se greffait. Par exemple : "La Dame aux caméléons, ses propos prêtent à contusion". J’aimais bien ce petit détournement de sens, et j’ai tiré le fil, construit l’histoire autour.

"Ma Métisse", par contre, on se dit que ça repose forcément sur une chose plus personnelle…

Oui. A priori, toutes mes chansons sont personnelles. On part d’un truc, que l’on déguise un peu, on brode à partir du vécu parce qu’on fait une trouvaille, et la chanson part dans une autre direction.

Le racisme et la montée des idées d’extrême-droite est quelque chose d’assez présent dans les textes de l’album…

Ma femme est marocaine. Je suis allé au Maroc, on a vécu le racisme côté marocain, en France le racisme côté français… C’est un peu mon histoire. Il y a des choses qui me font bouillir, et les chansons vont vers ça. Mais "Ma Métisse" n’était pas tout à fait une chanson sur le racisme au départ… elle le devient, à la fin. Je ne voulais pas faire ça au commencement. Pour cette raison, je dis souvent que c’est une chanson d’amour ratée. Je voulais vraiment faire une chanson d’amour simple… mais n’ai pas pu m’empêcher, sur le dernier couplet, d’ajouter ça. Cela dit, c’est aussi ce qui fait que la chanson prend…

… une autre ampleur. C’est intéressant, dans une chanson d’amour, de montrer que le monde autour n’est pas si doux que l’histoire entre les tourtereaux. Autre titre, qui y va plus frontalement : les "Méditations métaphysiques de la Dame pipi"…

Ca part d’une observation : j’étais dans des toilettes, à Montpellier, et j’entendais une dame pipi dire certains trucs que j’ai notés, notamment "tout est question d’ambition dans la vie"… J’ai trouvé ça extraordinaire ! Et il y avait d’autres choses, le même genre que l’on peut entendre dans les bistrots. J’ai noté tout ça et j’en ai fait une chanson qui n’est pas vraiment engagée, mais orientée, disons…

"Pas demain la vieille" rend hommage à Francesca Solleville. Comment est-ce arrivé ?

Après un concert qu’on avait fait avec Allain, à Antraigues, en 2011, un mois ou quinze jours avant sa mort… je faisais la première partie de Francesca Solleville, et elle m’avait demandé de lui écrire une chanson pour son album à venir. J’ai écrit ça, mais rendu la chanson trop tard, le disque était déjà enregistré. Du coup, je l’ai réécrite à la troisième personne – elle était à la première, au départ, comme si c’était elle qui parlait.

La version finale te semble mieux que ton idée originelle ?

J’ai toujours le regret qu’elle ne l’ait pas chantée… Elle figure sur le disque uniquement parce qu’elle plaisait beaucoup à Thierry Garcia. Il m’a suggéré de l’interpréter en hommage à Francesca.

Elle t’en a reparlé ?

Oui, on s’est vu il y a un mois, pour un concert, elle a été très touchée… Maintenant, j’ai eu certains retours curieux sur cette chanson : des gens qui n’aimaient pas – alors que Francesca a eu toute sa vie le poing levé – qu’on la réduise à une dame qui n’aurait à faire que du tricot, trier les lentilles et s’occuper de sa petite fille… Le second degré n’est pas toujours bien passé.

En fait, tu lui souhaites d’avoir une retraite apaisée dans un monde meilleur… qui malheureusement n’arrivera jamais.

Voilà. Mais certains fans de Francesca l’ont mal interprétée, en disant, "ce n’est pas elle ; elle s’est battue toute sa vie contre ça, la femme à la maison, etc.". Je comprends ce qu’ils veulent dire, mais ce n’est pas mon propos. Ca m’amusait d’imaginer Francesca chantant quelque chose de ce genre. Et puis, c’était pour lui souhaiter cela : de pouvoir prendre du temps pour elle-même…

Pour ton album, tu n’avais que ces onze chansons, ou tu en as écartées ?

J’en avais plus, parce que j’avais mis certains poèmes en musique. De Tristan Corbière et Maurice Carême. C’était proche musicalement, mais ça ne collait pas au reste des thématiques du disque, qui raconte quand même des histoires.

Pas de regret de les avoir écartés ?

Non, je le ferai un jour. On est en train de travailler sur le deuxième disque actuellement. Et sur scène, il n’est pas impossible que je fasse un de ces poèmes… C’était un choix. Pour un premier album, c’est bien d’être identifié comme auteur. Je l’ai beaucoup fait, quand je lisais des poèmes : prendre une guitare et trouver une mélodie.

C'est arrivé que tes lectures infusent… et diffusent plus tard des choses dans ton écriture ?

Oui, certaines chansons du disque ont été écrites après avoir lu des romans. Par exemple il y a dans "Quelle mouche a piqué mémé" des clins d’œil à Céline. Dans "Con comme la une" aussi. Des expressions que je reprends, comme "mes chacals", qu’il utilise beaucoup dans "Casse-Pipe", ou un mot aujourd’hui peu usité comme "Rigodon". "Quelle mouche a piqué mémé", ça m’est venu aussi d’un livre de Jacques Perret qui m’avait beaucoup plu, "les Biffins de Gonesse".

Ca a été fait sciemment, ce n’est pas l’inconscient qui a parlé…

Non, c’étaient de vrais clins d’œil. J’avais envie de les placer. Céline est un styliste extraordinaire, sa découverte m’a bouleversé.

Certaines lectures poétiques ont-elles pu t’inspirer des formes ou métriques originales ?

Pas sur ce disque-ci… mais au moment d’écrire certaines chansons pour le suivant, j’ai beaucoup relu des poètes du XVIe siècle. Clément Marot, surtout. Ca se retrouve dans la façon d’utiliser le langage, en particulier dans deux de mes nouveaux morceaux. Sinon, sur ce premier disque, il y a tout de même "Chiffon" qui en porte la trace : j’avais cette écriture-là en tête, et ai essayé de retrouver un esprit voisin dans la forme – avoir pour contrainte d’écrire des vers très courts, trois syllabes, qui se répondent, comme j’avais pu lire chez Marot. Pour moi, la forme est primordiale, c’est ce qui m’inspire. Je pars vraiment de là.

L’idée de contrainte (par exemple des vers de trois syllabes) ressemble éventuellement à ce que l’on peut faire lors de certains ateliers d’écriture. Tu as côtoyé Allain Leprest via Didier Pascalis, et Claude Lemesle ne tarit pas d’éloges à ton sujet. Tu as déjà fréquenté leurs ateliers respectifs ?

Pas du tout. Jamais. J’aurais pu, mais je n’ai pas voulu, parce que j’avais vraiment une idée précise de ce que je voulais faire. Je me nourris de tous mes bouquins, et j’ai plutôt envie d’aller piocher là.

Tu as écrit onze chansons en deux ans et demi. C’est un rythme assez lent…

C’est peu, effectivement, parce que j’écris quand ça arrive, le moment venu. Je prends des notes, et lorsque je me mets au boulot, une chanson peut être terminée en quelques semaines, parce que je l’ai ruminée. Je ne me force pas à écrire une chanson.

Mais la perspective d’avoir un deuxième album à sortir bientôt doit bien t’obliger à écrire plus régulièrement, à un rythme plus soutenu…

C’est vrai qu’aujourd’hui, je me force à écrire un peu plus régulièrement, parce que si je m’écoute, je préfère lire qu’écrire. Je me mets à mon bureau, à certaines périodes, et j’écris tous les jours. Je dois m’y mettre, me forcer.

Le fait d’avoir des plages d’écriture contraintes te fait écrire plus qu’à tes débuts. Du coup, tu jettes beaucoup ?

Je ne jette pas, je réécris beaucoup. Pour une chanson, j’ai en moyenne soixante pages de brouillon. Certaines, évidemment, sont venues plus vite, parce qu’elles étaient dans l’air, et qu’il n’y avait plus qu’à les écrire… Mais quand je cherche réellement, ça peut être très long.

L’inspiration-minute a eu lieu pour quelles chansons ?

"Pas demain la vieille" et "J’déménage". En deux heures. Mais c’est rare. Il faut écrire beaucoup pour avoir, de temps en temps, ce genre de petit miracle. Et bizarrement, ces deux chansons n’étaient pas pour moi, mais des commandes : la première, je l’ai dit, pour Francesca. La seconde, pour Enzo Enzo, avec qui Tacet avait un projet de disque, à l’époque. Idem, pour "J’déménage" : c’est Thierry qui a insisté pour l’enregistrer. Moi, je trouvais que ce n’était pas tout à fait mon univers. Finalement, je m’y retrouve, et j’ai plaisir à la chanter – et puis, ça sort un peu de mon côté "concerné", "engagé", dans lequel j’avais un peu tendance à tomber.

Cette notion d’engagement, très lié à la chanson à texte… L’esprit "fables" de tes chansons évite que ça devienne des chansons-tracts.

Oui, je ne supporte pas ça ! C’est pour cette raison que j’aime le mode d’approche des fables, et que j’écris rarement à la première personne. Et puis, je ne veux surtout pas revendiquer quelque chose. J’aime raconter des histoires.

Mais tu apprécies paradoxalement ça chez d’autres, puisque tu rends hommage à Francesca Solleville… Tu aimes quand même ce côté "gueulante", quand c’est bien fait ?

Non, ce que j’apprécie chez Francesca, c’est cette foi, cette envie, cette force. Mais je ne suis pas trop client de la chanson engagée revendicative, qui dit ce qu’il faut faire.

Brassens avait beau revendiquer pour lui une forme d’anarchie, il était plus détaché qu’un Ferrat…

Tout fait, je suis plutôt dans cette optique. Un jour, un gars m’a demandé : "tu as autre chose que des chansons engagées ?" Et je ne m’étais pas aperçu qu’elles l’étaient…

Parler de la misère sociale, c’est un thème courant, mais ça passe pour un point de vue sociétal. Ne pas rester dans sa bulle, son nombril, c’est une façon de s’engager.

A partir du moment où j’écris sans dire "je", sans me contempler le nombril, on me parle d’engagement… Mais je veux juste raconter ce que je vois. Ca prend cette forme-là, que l’on peut voir comme engagée ; mais je ne me suis pas dit ça au départ "je vais fustiger le FN". Et "Chiffon", c’était plutôt un souvenir d’enfance, j’ai voulu rendre hommage à ce personnage de ma jeunesse, un SDF vaguement chiffonnier… Après, ça s’ouvre davantage parce que tu vois le SDF au coin de la rue, et tout le monde peut s’en emparer.

Ca ne te dérange pas d’être associé à cette scène de chanson à texte, poético-politique, alors qu’on pourrait tout aussi bien te comparer aux Cherhal, Delerm, et autres ?

Je me situe entre les deux. C’est vrai que j’aime particulièrement cette scène, parce que ce sont des héritiers de Souchon et que j’ai beaucoup aimé ce qu’il a emmené… Mais j’aime aussi dans la chanson engagée, "à texte", la rigueur qu’on ne retrouve pas forcément ailleurs.

Tu arrives à écrire sur une musique ?

Pas encore. On m’a proposé, sur une musique qui me plaisait beaucoup. Mais avec une mélodie, tu ne peux pas faire ce que tu veux : il y a déjà une direction, ça doit être du sur-mesure. Alors qu’avec un texte, on peut avoir douze musiques différentes, douze ambiances variées.

Ca t’arrive, comme Brassens, d’avoir plusieurs musiques et d’hésiter ? Tu les testes ?

Je me les rejoue, et celle que j’ai envie de rejouer au bout d’un mois ou deux, je sais que c’est la bonne. Je fais aussi écouter à des amis. Sur les morceaux pour le deuxième disque, j’arrive parfois à trois musiques différentes sur chaque texte…

Pourquoi es-tu moins sûr de toi que sur le premier ? Moins sûr ou plus prolifique, ce qui est une autre façon d’envisager le problème…

Les chansons de mon premier disque étaient véritablement mes onze premières chansons. C’était une nouveauté, c’était spontané. Et puis, peut-être qu’on est moins exigeant avec les musiques à ses débuts. Plus ça avance, plus les choix s’affinent, on tergiverse plus. Je suis souvent dans les mêmes modes harmoniques, alors au bout de douze chansons, on peut en arriver à se plagier soi-même, si on n’y prend garde. Pour éviter ça, je lâche la guitare – avec laquelle je retombe souvent sur les mêmes plans – et compose au piano. Ou un autre instrument, dont je sais très peu jouer, qui me laisse libre d’essayer des choses… Là, par exemple, j’ai composé sur un cuatro, un instrument du Venezuela à quatre cordes, comme un gros ukulélé, mais à l’accordage différent. Ca ouvre les perspectives : reprendre ensuite la guitare avec cette mélodie neuve que tu as trouvée, donne autre chose. J’essaie de sortir du moule de ces premières chansons. Ce qu’a fait Brassens : il y a une sacrée évolution, chez lui, des premiers aux derniers morceaux ; ça devient de plus en plus complexe, même mélodiquement.

Tu es autodidacte, m’as-tu dit. Quand et comment as-tu appréhendé ton instrument ?

Découvert la guitare à quinze-seize ans, un cousin m’a montré deux-trois accords… J’ai joué, des heures et des heures, à reproduire ce que j’écoutais. D’abord acheté le songbook des Beatles. Après avoir développé mon oreille, j’ai fait du note-à-note, passé des après-midi entiers à repiquer des plans guitare – de tout : bossa, manouche… Et développé, du coup, un jeu un peu personnel. C’est ce que me dit Thierry : "si tu avais fait le Conservatoire, tu n’aurais jamais pu mettre cet accord-ci à cet endroit. C’est super, parce que nous, on ne s’y attend pas, et c’est ce qui fait qu’il se passe quelque chose dans ce morceau".

Après ce choc Brassens, est-ce que tu écoutes encore des nouvelles choses, susceptibles de t’inspirer musicalement ?

En ce moment, j’écoute de la country. J’ai aussi découvert Bob Dylan dernièrement, ça m’a ébloui.

Quelle période de Dylan ?

Les débuts. Jusqu’à "John Wesley Harding", ce disque superbe…

… qu’on a tendance à oublier un peu, parce qu’il arrive après les trois gros disques électriques, et qu’il fait relativement profil bas à côté…

J’ai écouté tous les premiers albums de folk acoustique, puis suis passé aux électriques, que j’ai moins aimé… Avant de découvrir cet album-là, qui est magnifique. Du coup, j’ai écrit deux chansons dans cet esprit, très folk. On les a travaillées en répétition cet après-midi ; il n’est pas impossible qu’on les fasse au concert.

Au Forum Léo Ferré, tu avais joué deux inédits. Tu introduisais l’un d’eux d’une façon volontairement tarabiscotée : comme un mélange d’histoire de bonhomme de neige, de mariage pour tous et… d’Enrico Macias ! Je relisais récemment un papier sur Guy Béart. Brassens, à ses débuts, lui avait donné le conseil suivant : il ne faut qu’une idée par chanson, quand il y en a deux, ça devient casse-gueule… Tu avais ironisé là-dessus en présentant ce nouveau titre… qui traitait de trois sujets à la fois !

C’était une façon drôle de dire que c’était l’histoire d’amour entre deux dames à une époque où ça ne se faisait pas, et Enrico se pointe en gimmick dans tous les refrains… mais le vrai thème, c’est celui-là… Effectivement, comme ça fait partie des nouvelles chansons, j’ai tellement travaillé le texte qu’il n’a peut-être pas une évidence d’emblée. Ca peut paraître tarabiscoté dans le sens qu’on ne capte pas tout à la première écoute.

Tu as l’impression que les textes de tous tes nouveaux morceaux sont plus complexes ?

Je sens que les textes sont plus longs. Là, je viens par exemple de faire une chanson sur Jésus, qui fait sept minutes, que j’aime beaucoup, mais c’est difficile. Je l’ai joué très peu sur scène à cause de ça. Elle s’appelle "Comme disait Jésus" : l’histoire d’un marchand de vin à cette époque où on avait tendance à faire du vin avec de l’eau… ce qui pouvait nuire à son commerce. (sourire) Je me dis qu’avec ça je suis sorti du format chanson : ça se lit, c’est peut-être plus littéraire qu’auparavant. Alors qu’une chanson a besoin d’immédiateté.

On peut alterner en concert chansons et textes dits (ou joués) – quelqu’un comme Laurent Berger le fait très bien…

J’y ai pensé, mais je ne m’en sens pas capable pour l’instant. D’ailleurs, "Le Bonhomme de neige", le morceau qu’on évoquait juste avant, j’avais pensé le dire, parce que j’aime beaucoup ce texte. Mais il est long, et la musique rallonge encore la sauce… Je ne sais pas. En tout cas, je suis actuellement dans un format de chansons plus longues, parce que j’ai un grand plaisir à être dans le texte… même si, une fois mis en musique, ça peut parfois faire six minutes.

Qu’en pensent ton producteur et ton arrangeur ?

Didier m’a dit que la chanson sur Jésus était bien, que je pouvais faire ça sur un titre… Mais j’ai vu un peu les limites, parce que sur scène je sens bien que les gens rament pour essayer de tout capter – et ça contraste avec l’immédiateté des autres morceaux… Alors, c’est peut-être un plaisir d’une chanson sur disque. Comme certains titres de Brassens, où tu as une trouvaille à chaque vers, l’écoute est inouïe, et tu te régales encore plus en lisant le truc… mais pas forcément des chansons de scène. Alors, sur les deux nouvelles chansons que j’ai écrites depuis, je suis revenu à quelque chose de plus simple. Parce que ça peut finalement devenir un piège, la complexité…

Combien as-tu de nouveaux morceaux prêts ?

Six. J’en travaille d’autres actuellement. Les six, on commence déjà à enregistrer des maquettes, réfléchir à des arrangements.

J’ai rencontré Didier en janvier 2014 : il me disait déjà alors qu’un disque était prêt depuis presque un an… mais qu’il attendait le bon moment pour le sortir. Le CD est finalement paru courant 2015. C’est très long, comme intervalle. Que s’est-il passé, entre l’enregistrement à la parution ?

Ce qu’il s’est passé, c’est que les arrangements étaient différents, il y avait beaucoup de choses. J’avais fait mes chansons guitare-voix, Thierry et Didier travaillaient sur les arrangements – je n’habite pas Paris, c’était assez compliqué, je venais, on validait. Et une fois les arrangements finis, j’ai enregistré les voix finales. Mais c’étaient des chansons que je n’avais pas rodées. Derrière, j’avais des cuivres, des choses comme ça, et on n’a pas été convaincu par le résultat. On sentait qu’il y avait un truc qui n’était pas dans l’esprit des morceaux. On a fait écouter à certaines personnes – notamment Maxime Leforestier, avec qui Didier était en contact, qui avait dit grosso modo : il y a vraiment un auteur… mais quelque chose qui pêche au niveau des arrangements. C’était à peu près le même retour, de la part des pros comme des proches.

La première mouture était donc le disque, mais beaucoup plus arrangé que celui finalement paru. On en a enlevé beaucoup. C’est sans doute parce que Thierry Garcia ne me connaissait pas bien, ne connaissait pas mon tempérament… Des cuivres derrière ma voix, ça ne collait pas. Il en reste un tout petit peu par-ci par-là, mais rien à voir avec ce qui avait été fait au début. Ils ont enlevé, et réenregistré d’autres parties, parce que ça ne fonctionnait plus. C’est une architecture : si tu enlèves des choses, ça tombe. Sur certains titres on s’est contenté d’alléger. D’autres, on a refait. Et ça a été long. On s’est même demandé, à un moment, si ça ne serait pas intéressant de le sortir en guitare-voix… parce qu’on sentait que dans cette configuration ça passait, contrairement aux premières versions arrangées.

Et finalement, les nouveaux arrangements sont subtils et n’étouffent pas l’esprit originel guitare-voix.

Voilà. C’est là qu’on voit qu’ils sont réussis : ils ne prennent pas le dessus sur l’histoire, sur le texte. Pour le deuxième disque, on a décidé d’enregistrer les premières versions, de les travailler sur scène, et de faire un album, en recherchant l’esprit du live, avec les chansons bien rodées. Parce que ça évolue, question tempo, une nuance de rythme change beaucoup de choses.

Tester une nouveauté face au public peut te faire changer d’avis sur une chanson ? Voire y renoncer ?

"Quelle mouche a piqué mémé", au début, ne marchait pas du tout. Pourtant elle me plaisait beaucoup. Mais ça faisait un bide. Et un jour, paf : ça a été ! Je la faisais peut-être un peu trop rapidement, il y avait un débit important. L’ayant écrite je connaissais l’emplacement de toutes les astuces, les traits d’humour. Mais on peut ne pas tout comprendre la première fois. Un jour, j’ai ralenti le tempo et l’ai chantée différemment… Peut-être aussi que l’ordre des morceaux jouait en sa défaveur. Même si je sentais que ça ne passait pas, je n’avais pas envie de l’abandonner. Et puis, je n’en avais qu’une dizaine, alors je ne pouvais pas les remplacer par autre chose. Ca me l’a fait sur deux ou trois titres qui ne fonctionnaient pas… jusqu’à ce qu’un jour, je choppe le truc.

"Le truc", tu le choppes chez toi, en répétition, ou sur scène ?

Sur scène. La chanson est vraiment terminée quand tu la joues sur scène. Aux retours, tu vois si ça fonctionne ou pas. Des fois ce n’est pas le cas, mais tu es sûr qu’elle est bonne, alors c’est à toi de trouver le moyen pour la faire passer.

La scène est devenue ton élément ?

Je n’irai pas jusque-là. Ca ne l’était pas du tout au départ. Je sais que je ne serai jamais…

… Jacques Brel !?

Voilà. Je suis assez réservé, et Pierre Lebelâge sur scène, c’est quand même proche de Pierre Lebelâge quand il est chez lui. Je ne suis pas deux personnages. Je suis resté moi-même, mais en m’ouvrant un peu plus au public – au début j’étais pétrifié. Et puis, cette chose, la réserve, faisait partie de ma personnalité. Ca a fini par fonctionner, avec un certain public. Donc sans être 100% à l’aise sur scène, il y a quand même maintenant du bonheur, de vrais moments de grâce, parfois. Au plaisir d’écrire/composer une chanson s’ajoute désormais celui de la chanter.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La chronique de l'album Babel de Pierre Lebelâge

En savoir plus :
Le site officiel de Pierre Lebelâge
Le Soundcloud de Pierre Lebelâge
Le Facebook de Pierre Lebelâge


Nicolas Brulebois         
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