Centre de musique romantique française
(Ediciones Singulares) novembre 2016
"Ô Génie ! Je succombe, je meurs !" de Berlioz à Kreutzer pour son La Mort d'Abel…
Parfois, ce qui pourrait être considéré comme quelque chose d’anecdotique devient une évidence puis absolument indispensable. Ediciones Singulares est un éditeur de livre-disques avec pour vocation de "replacer la musique dans son contexte historique, culturel et social" et s’est fait connaître avec La collection "Los escritores y la música" (de grands écrivains comme Proust, Dante, Thomas Mann, Goethe… et leurs rapports à la musique).
Situé à Venise, dans le quartier de San Stin, Le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française agit de son côté pour la redécouverte et la transmission d’un patrimoine musical français du grand XIXe siècle (pour une période allant grosso modo de 1780 à 1920, du classique au post-classique, il est difficile de vraiment parler de romantisme pour la musique française) oublié ou disparu en lui assurant un certain rayonnement.
Cette redécouverte passe par la recherche musicologique, des projets pédagogiques, une programmation pointue (cycles sur Camille Saint-Saëns, Fernand de La Tombelle, Théodore Gouvy, Benjamin Godard et Théodore Dubois, Etienne Nicolas Méhul...) et une politique d’édition de livres (en collaboration avec Actes Sud : Reynaldo Hahn : Un éclectique en musique, Archives du concert : La vie musicale française à la lumière de sources inédites (XVIIIe-XIXe siècle)…, de partitions et de disques.
La collaboration européenne (on pourra se poser la question de savoir comment cet incroyable projet n’est pas né en France, la peur de la prise de risque ? Le manque d’intérêt pour ces compositeurs ?
Pourtant, les musiciens les interprétant sont bien là, c’est aux politiques de réagir…) entre le Palazzetto Bru Zane et les Ediciones Singulares a permis de réaliser de superbes éditions ou rééditions sous diverses collections comme Prix de Rome, Portraits ou Opéra Français. Des éditions numérotées et au tirage limité où la qualité de l’objet l’est autant dans forme (qualité du papier, l’iconographie, grand format…) que dans le fond (textes pertinents et toujours aussi bien documentés écrits par des spécialistes, très belles voire même exceptionnelles interprétations musicales…).
Si l’on est un peu moins enthousiaste pour celui sur Paul Dukas (les prestations d’Hervé Niquet et du Brussels Philharmonic sont correctes mais celle du Flemish Radio Choir est un désastre, sans parler des voix aigues aux vibratos désuets), jetez-vous, pour les Opéras, dans La Jacquerie (1895) d’Édouard Lalo et Arthur Coquard (superbe interprétation des solistes, de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et du choeur de Radio France), dans Cinq-Mars de Charles Gounod, œuvre moins connue que ses autres opéras (comme Faust, Roméo et Juliette ou Mireille) mais d’une très belle finesse dans l’écriture, dans l’étonnant Le Pré aux clercs, créé à l'Opéra-comique en 1832, de Louis-Ferdinand Hérold, le rarissime La Mort d'Abel (1810) entre l'opéra et l'oratorio de Kreutzer, Herculanum (1859) de Félicien David… La liste est longue. Encore plus quand on ajoute les portraits de Théodore Dubois, Théodore Gouvy et Marie Jäell et les prix de Rome : Gustave Charpentier, Claude Debussy, Max D’Ollone…
Alors oui parfois, ce qui pourrait être considéré comme quelque chose d’anecdotique devient une évidence puis absolument indispensable. Alors saluons cette superbe et ambitieuse aventure musicale !