Le disque le plus "engagé" de cette année n'est pas l'oeuvre d'un obscur groupe de punks à chiens ou d'un groupe de rap survolté. Il a été enregistré par un duo de pop suédois : The Radio Dept. Cette phrase pourrait interloquer voire choquer les fans du groupe.
"Quoi ? Tu parles bien de The Radio Dept. ? Le groupe qui fait de la musique pour amoureux transis ?"
Oui. Nous parlons bien d'eux. On connaît surtout Johan Duncansson et Martin Larsson pour leur dream pop un poil lo-fi, moins panoramique que les caciques du genre. Nombreux sont ceux qui les ont découvert lorsque Sofia Coppola eut la bonne idée des les intégrer à la bande-originale de son film Marie-Antoinette. Jusque Clinging To A Scheme, paru il y a déjà six ans, le duo déroulait avec brio et délectation sa pop mélancolique et rêveuse, souvent à base de guitares, parfois de synthés. Après Clinging To A Scheme, le groupe s'est fait rare, usqu'à la parution du titre "Death To Fascism" en 2014, qui avait laissé beaucoup d'inconditionnels du groupe sur leur faim. On sentait déjà poindre leur goût pour les textures electroniques. Puis il y a un an paraissait This Repeated Sodomy. Au-delà du titre un peu choquant, qui faisait en fait déjà référence aux abus du pouvoir et au délitement de la démocratie, on retrouvait les guitares légères et reverbérées si familières du duo.
Running Out Of Love marque un tournant pour The Radio Dept. qui aurait pu tranquillement sortir un quatrième disque de pop nostalgique et fragile sans faire sourciller critriques et fans. Pourtant, le duo a pris quelques risques et partis pris, mais au final ce disque est réussi. Je vous parlais du côté engagé du disque. Le communiqué de presse commence par cette déclaration du groupe :
"Notre société semble en régression sur tellement de points. Politiquement, intelectuellement, moralement".
Beaucoup imaginent les pays nordiques comme des exemples de modèles sociaux, d'intégration ou encore de tolérance. The Radio Dept. déconstruit ce mythe. "Occupied", "Swedish guns", "We Got game", "Commited To the cause", "Thieves Of State" sont des attaques virulentes contre la police, les racistes, les réactionnaires ainsi que le gouvernement suédois.
Mais revenons à la musique. Dès "Swedish Guns", le groupe surprend : ce sample qui laisse place à une mélopée sur fond de dub langoureux. "We Got Game", qui sonne comme du Technotronic déprimé. "Occupied", croisement improabale entre rythmes dance-floor et un sample anxiogène de Twins Peaks. On retrouve la pop synthétique et doucereuse si chère au duo sur "This Thing Was Bound to Happen", "Can't Be Guilty" et "Committed To The Cause".
Le sublime "Teach Me To Forget" clôt ce disque : un battement pulsatile qui évoque tout de suite la house paresseuse de Superpitcher et surtout ce sample de claviers omniprésent qui évoque la nostalgie de l'euro-dance des années 90. Oublier le marasme, la régression et se lover dans le souvenir rassurant de ces années tranquilles. Un peu comme le groupe le chantait sur 1995, où l'on marchait 20 kilomètres pour aller voir son amoureuse, où l'on parlait des heures des pépites indés de l'époque autour d'un café…
La nostalgie, camarade. |