Non mais franchement, qu’est-ce qu’il m’a pris de profiter de cette soirée "panne de courant" pour commencer Les Filles déchues de Wakewater à la lueur vacillante de romantiques bougies ? "L’eau devait les sauver, elle deviendra leur pire ennemie" ne m’a même pas mis la puce à l’oreille. Je voulais le lire d’une traite…. Quelle idée…
V.H. Leslie a auparavant écrit de nombreuses nouvelles, et si elles sont à la hauteur des Filles déchues de Wakewater, et bien laissez-moi vous dire que le prix Best British Horror est à portée de plume. Perso, je lui décerne le mien. Certes, j’avais les conditions frissonnantes, mais je suis certaine que l’ambiance du livre se suffit à lui-même. Puisque je l’ai terminé entourée de conciliabules bienveillants, sous un soleil situé largement au-dessus des normales de saison.
Sombre. Les Filles déchues de Wakewater commence par l’apparente anodine visite d’un appartement, flambant neuf. Kirsten le trouve charmant et s’y installe rapidement. Elle peste dès le lendemain pour une fuite d’eau… Il va l’entendre cet agent immobilier… Elles ne sont que deux locataires dans cet immeuble. Manon surchauffe son appartement pour éviter les moisissures. Parce que chez elle aussi, de l’eau arrive de nulle part pour humidifier ses pièces.
Angoissant. Nous rencontrons Evelyn, Londonienne de bonne famille de l’époque victorienne. Et puisqu’elle est une belle personne, elle a donné de son temps pour aider de jeunes prostituées à sortir de leur impasse. Sauf qu’être bien née ne conduit pas forcément au bonheur, et qu’elle se retrouve internée dans l’établissement thermal de Wakewater. Evelyn pense souvent à Milly, étrange étrangère, réelle ou imaginaire ? Ce n’est pas une simple dépression qui l’a conduite entre ces murs.
Gothique. Et même si tout paraît parfaitement "normal" à ce stade de l’histoire, quelque chose se trame. Un drame suinte dans les paroles de Kirsten et Evelyn, dans leurs conversations banales à propos de mode féminine ou des hommes. L’appartement de Kirsten est comme une chambre de sous-marin, un vide d’air naturel, coincé sous la pression d’un océan. Le passé d’Evelyn révèle le personnage d’une femme sublime à la robe émeraude, la fameuse Milly.
Aquatique. Le décor est planté, un lieu, deux époques, une malédiction. A la fin du 19ème siècle, les établissements d’encadrement pour adultes dépressifs sont rares, et les traitements relèvent plus de la lubie, voire de la sorcellerie que de la science exacte. Wakewater a été créé d’après l’idée que plonger des corps dans l’eau réveillerait l’état fœtal plongé dans le liquide amniotique, pour soulager les douleurs.
Versatile. L’eau est la véritable héroïne du roman de V.H. Leslie, démoniaque et changeante, elle coule entre chaque page. Simple mortelle, vous êtes une proie pour les flots, un dû, une offrande pour une paix temporaire.
Frissons garantis. Vous ne regarderez plus la paisible rivière du même œil. Les remous seront suspects. La vue d’une simple flaque sera comme un Judas ouvert sur un mode machiavélique. Prenez garde si l’envie vous prend de plonger vos pieds dans un ruisselet, prenez garde où vous mettez les pieds, qui sait ce qui vous attend, tapi dans un recoin sombre. Qui connaît les projets de cette créature ? |