Jeune auteur, auteur jeune, Julien Dufresne-Lamy présente son troisième roman sous les traits d’une danseuse androgyne dans Deux cigarettes dans le noir. Professeur de lettres, pas la peine de rappeler qu’il comprend les romans les plus complexes, et a fait de leur partage un sacerdoce… Ah, l’enseignement…
Deux cigarettes dans le noir ressemble à un polar à la française. Disons par là, sans spectaculaire ni entrainement, encore moins de suspect sorti de derrière les fagots ou d’invraisemblable découverte épithéliale sous les ongles moult moisis d’une victime consentante…
L’histoire commence assez banalement, trop banalement. Seule, Clémentine découpe des bons de réduction quand les douleurs de l’enfantement se font sentir. Elle file derechef au volant de sa citadine plus toute fraîche, direction l’hôpital des bébés le plus proche. Les douleurs sont ce qu’elles font, le récit est flou, saccadé, brumeux, douloureux.
Clémentine rentre chez elle avec le bébé, fatiguée, pas vraiment seule. C’est presque par hasard qu’elle apprend la mort de la chorégraphe Pina Bausch. Les souvenirs remontent comme des bulles à la surface d’un liquide. Elle est persuadée avoir renversé la chorégraphe. Et s’impose une pénitence. Elle éprouve un désir viscéral, limite malsain de tout connaître de Pina Bausch. Poussant même le délire jusqu’à surnommer son bébé Pina.
Julien Dufresne-Lamy opère de délicates transitions, et passe tout en douceur de la bibliothèque où Clémentine loue les documents liés à Pina, à l’entreprise où Clémentine est rétrogradée. Il introduit à tâtons les personnages dans la vie de Clémentine, sa mère moralisatrice, ses collègues hostiles, son ex absent, le père du bébé inexistant…
Le roman est la voix de Clémentine, le malaise est présent dès les premiers chapitres, donnant une furieuse envie de connaître la version des absents, de ceux que Clémentine décrit sans ambages. Non pas que le personnage principal du roman ne soit pas attachant, mais son caractère semble énigmatique, de même que les tenants de ses décisions.
On en vient même à douter de la culpabilité dont elle s’aliène, de la nécessité du chemin de repentance dont elle s’inflige les étapes. C’est là que l’auteur avance ses pièces : le passé de Clémentine. Et au même rythme que nous apprenons à la connaître, nous commençons à la comprendre, doutant à ses côtés, se posant la même éternelle question, se figeant à chaque murmure de l’extérieur.
La boucle se boucle à la fin du roman, la lumière se fait sur les évènements, l’auteur emballe son texte d’une plume élégante. Deux cigarettes dans le noir ne se ferme pas sans laisser de trace. Le roman ouvre la réflexion de la vie et de la mort, leur étroite association et l’inéluctabilité de l’une face à l’autre.
Duel, introspectif, Julien Dufresne-Lamy ne se contente pas de raconter les doutes de son personnage, il pousse l’écriture au point de faire reculer la réflexion dans les retranchements de la conscience. Ses pages portent une sorte de mise en abîme de l’âme humaine, d’abord parce que Clémentine n’agit pas ainsi sans raison. Chaque acte présent trouve une racine dans un fait antérieur, souvent subi. Et vous ? Quelle est votre origine ? Vous avez trois heures. Ou quatre. |