C'était en 1995, Nirvana n'existait déjà plus et avait été avalé par le même marketing qu'il détestait, le grunge était devenu une mode qui sentait la rébellion tranquille des jeunes de province qui voyaient en Kurt Cobain le prophète d'une génération et d'un certain style faussement négligé devenu plutôt une religion.
En Grande-Bretagne, le mot shoegaze était devenu une insulte aux musiciens qui ne correspondaient pas à certains tendances et le légendaire Creation Records d'Alan McGee et Joe Foster avait choisi de suivre le changement mené par le britpop en produisant l'album de début (Definitely Maybe) d'un groupe qui venait juste de se faire connaître comme le leader de ce genre, Oasis. C'est la même année que le label décide également, sans trop convinction, de sortir Pygmalion, l'album qui mettra fin à Slowdive (mais vu qu'on écrit encore sur eux en 2017, cela serait bien d'utiliser le mot pause).
Le groupe, qui avait signé sur le label leur deux albums précédents (Just for a Day - 1991 ; Souvlaki - 1993), se retrouve sans le batteur Simon Scott, qui quitte le groupe après une catastrophique tournée aux Etats-Unis, en le laissant au mépris et aux critiques des magazines comme Melody Maker qui l'avait défini comme "The scene that celebrates itself", avec NME en tête, les mêmes qui les avaient longtemps flattés.
Avec le départ de Ian McCutcheon et un son space qui déclare carrément l'influence ambient de Brian Eno (avec lequel ils ont collaboré pour Souvlaki sur les pistes "Sing" et "Here She Comes"), le projet se termine définitivement. Plusieurs vies, plusieurs projets, groupes et amours pendants ces années : Rachel et Neil ne sont plus ensemble, les Mojave 3 se sont arrêtés et un stand-by touche aussi les projets de Halstead, son projet solo folk et les Black Haerted Brothers.
C'est le Primavera Sound de 2014 qui nous réservera une grosse surprise : Slowdive en programmation, pour la première fois en live, 22 ans après. La reformation n'est pas officielle mais le public, les vieux fans, les ados nostalgiques, les magazines, sont dans le délire. Sur scène, reviennent également Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine de Kevin Shields (MBV, 2003) et Ride (Weather Diaries, Wichita Recording qui sortira le 16 juin 2017), trois des pionniers du genre : le shoegaze fait son retour officiel.
C'est pour cela que Slowdive, comme nous le confie Neil en interview, a choisi tout simplement Slowdive comme nom d'album (le même titre de leur premier EP sorti en 1990), "That's who we are !" nous dit-il avec un beau sourire. Signé sur Dead Oceans, label indé américain, l'album a été anticipé par les singles "Star Roving" et "Sugar for The Pill".
Sur la première piste "Slomo", on a l'impression d'être dans les 90's à écouter Pygmalion, un peu comme quand on regarde de vieilles photos et le temps d'un instant, on entend des voix, on sent des odeurs. La voix de Rachel, encore plus éthérée, aigue vers la fin, fusionne avec ce son cosmique.
"Star Roving" est justement le manifeste de leur évolution : leur son de toujours, la reverb, le mur de son, les guitares très saturées, l'ajout de touches minimalistes ("Falling Ashes"), l'effort de la fidélité au lo-fi de Just For a Day ("Go Get It").
"Don't Know Why" flotte sur la légèreté d'une batterie plus électronique et la voix veloutée de Rachel.
"Sugar For The Pill" reprend un rêve de Halstead qui rend surréaliste la jalousie et qui met en musique des imagines floues ("There's a buzzard of gulls / They're drumming in the wind/Only lovers alive / Running in the dark"). Un climax sonore nous avale, des atmosphères fuzzy et oniriques, l'enchaînement du mur de son, un brouillard de saturations, qui explose dans une douce déflagration sonique. Un peu comme si on se reveillait tard devant un film de V?ra Chytilová.
"Everyone Knows" avec sa basse sombre et ses guitares et une ligne de chant opaque qui cligne de l'oeil à des mélodies dream pop. Ensuite la nostalgie nous surprend sur "No Longer Make Time", avec la batterie de Scott, linéaire et rapide, qui ouvre, suivie par le chorus des deux voix et un enchaînement du mur de son.
On retrouve aussi des touches de post-rock, avec des cymbales bien bastonnées dans "Go Get It", le morceau qui joue avec la lesson ambient apprise par Brian Eno, avec le résultat d'une reverb qui vient de l'espace et d'une voix à l'écho.
"Falling Ashes", le dernier morceau, le plus expérimental, ouvre avec 02:18 minutes de piano minimaliste en boucle, un son cristallin sur lequel se bercent les voix dans une répétition infinie.
Cet album est la réponse à toutes les critiques qui ont toujours montrer le shoegaze comme une mode éphémère, aujourd'hui cette mode est présente un peu partout : Beach House, DIIV (allez regarder le topic Twitter SlowDIIV !), Ringo DeathStarr et beaucoup d'autres groupes.
Si vous les avez ratés au Trabendo, ne les manquez pas au Pointu Festival ou à Rock En Seine, et si vous vous étiez trompé dans les 90's, vous avez là une bonne occasion d'y remédier.
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