Professeur de littérature anglaise à l’université d’Harvard, Stephen Greenblatt est un spécialiste de Shakespeare, auquel il a consacré la biographie Will le Magnifique il y a quelques années. Chercheur érudit et conteur passionné, il est également l’auteur de Quattrocento, livre qui a remporté de nombreux prix à sa sortie, notamment le Pulitzer de l’essai.
Stephen Greenblatt nous livre aujourd’hui son nouveau livre, Adam & Eve, l’histoire sans fin de nos origines. Comme il nous le présente dès le début de l’ouvrage, ce livre raconte l’histoire d’une des histoires les plus extravagantes qu’on ait jamais racontées : celle d’Adam et Eve. Cette histoire, racontée au début de la genèse, façonne depuis des siècles nos conceptions des origines de l’homme et de sa destinée. Des millions de gens, dont certains esprits subtils et brillants, ont accepté le récit biblique d’Adam et Eve comme la vérité nue, malgré l’accumulation colossale de preuves contraires fournies par les différentes sciences. Stephen Greenblatt se demande, autour de ce livre, pourquoi et comment cet invraisemblable récit, couvrant à peine 50 lignes dans l’immense bible, peut-il être considéré, encore aujourd’hui, comme le miroir exact de l’humanité.
Il nous embarque alors, au gré de 342 pages passionnantes dans un labyrinthe d’interprétations rivales, sans jamais nous perdre, à travers une épopée narrative retraçant l’histoire sans fin de nos origines. Les étapes sont nombreuses et érudites, comme toujours avec ce brillant auteur, le voyage est sublime. On y retrouve Lucy et les plus grands paléontologues, les bords du fleuve de Babylone et les trois grandes religions monothéistes, des thermes romains et la pensée de Saint Augustin (très présent dans le livre), l’atelier des grands artistes de la renaissance jusqu’aux doutes de Darwin, portant le coup fatal.
Ce qui est fascinant, c’est que Stéphane Greenblatt nous montre que cette histoire d’Adam et Eve a façonné la manière dont nous concevons le crime, le châtiment, la responsabilité morale, la mort, la souffrance, le labeur, le loisir, l’amitié, le mariage et la sexualité. Et cela a évidemment des conséquences. Il nous montre aussi les différentes interprétations artistiques faites de cette histoire à la renaissance. Masaccio pour qui Adam et Eve ne sont plus des symboles abstraits et décoratifs de culpabilité et Jan van Eyck qui leur donne une nouvelle réalité corporelle. Albrecht Dürer, plus tard, aussi représentera Adam et Eve, recherchant la perfection.
Deux siècles plus tard, c’est l’écrivain John Milton qui apportera sa contribution la plus influente à l’histoire d’Adam et Eve avec Le Paradis perdu, considéré comme l’un des plus grands poèmes de la langue anglaise. A chaque chapitre des découvertes, des connaissances aussi et surtout beaucoup de réflexion. On en apprend presque à chaque page, pour chaque époque. C’est fascinant et stimulant.
Les écrits de Stephen Greenblatt sont accompagnés de documents iconographiques, regroupés au milieu du livre qui éclairent son discours et montrent l’évolution d’Adam et Eve dans les œuvres artistiques, se terminant par une photo d’un couple d’australopithèque. Le dernier chapitre, sur les doutes de Darwin clôt merveilleusement bien ce récit montrant un darwinisme pas forcément incompatible avec la foi en Dieu mais incompatible avec la foi en Adam et Eve. Il est juste passionnant, comme le reste du livre d’ailleurs.
Stephen Greenblatt confirme ses talents de narrateur hors-pair. Il nous subjugue du début à la fin au travers d’un récit magistral qui se lit avec la même facilité qu’un roman du fait qu’il est organisé sous la forme d’une enquête historique passionnante. Avec lui, des anecdotes deviennent des histoires et les histoires deviennent l’Histoire.
Adam et Eve est un superbe livre que je suis ravi d’avoir découvert et qui me donne envie d’aller lire les précédents ouvrages de Stephen Greenblatt. |