Comédie dramatique écrite et mise en scène par Yann Reuzeau, avec Frédéric Andrau, Marjorie Ciccone, Frédérique Lazarini, Morgan Perez, Tewfik Snoussi et Sophie Vonlanthen.
Dès ses premières partitions, le dramaturge Yann Reuzeau a démontré ses qualités en matière d'écriture dramatique contemporaine sur des thématiques sociétales.
Et, avec la très réussie saga dramatico-politique d'anticipation "La Chute d'une nation*" déployée en quatre volets retraçant le pourrissement des moeurs politiciennes qui conduisait à la faillite de la démocratie, sa maîtrise des codes du storytelling feuilletonnesque importés sur scène.
A savoir, une bible de personnages archétypaux bien différenciés, une intensité dramatique résultant tant de la conjonction du conflit intérieur - entre questionnement existentiel, drame personnel et dilemme professionnel - que de la confrontation avec les autres avec un entrelacement d'intrigues se greffant autour de l'argument principal et une gestion efficace du suspense avec un enchaînement de scènes courtes qui, par concaténation, contribuent à la tension dramatique, l'utilisation judicieuse du "cliffhanger" et un art du dialogue vivant centré sur l'essentiel.
Des fondamentaux qu'il reprend dans "Les Témoins" avec un scénario qui constitue "une suite indépendante" car l'opus commence avec la victoire à l'élection présidentielle du candidat du parti d'extrême droite qui bouclait "La Chute d'une nation" mais en se situant dans un milieu différent avec de nouveaux protagonistes.
Dans cet opus, sur fond de dystopie politique et d'éthique journalistique, Yann Reuzeau brasse de nombreux sujets d'actualité, de la crise migratoire à la collusion des politiques avec les acteurs économiques en passant par les scandales pharmaceutiques et le terrorisme.
Et il procède à une mise en perspective réussie et passionnante par le prisme du microcosme journalistique avec un tsunami qui s'abat sur le journal "Les Témoins" pour engager son pronostic vital.
Non seulement suite aux premières mesures gouvernementales attentatoires tant aux libertés publiques - avec notamment l'institution d'une carte générationnelle sur la généalogie de chaque citoyen afin de cibler les indésirables qui rappelle le fichage des Juifs de sinistre mémoire - qu'à celle de la presse, mais également en raison des dissensions internes au sein du comité de direction.
Tout commence avec le désaccord sur la ligne éditoriale de ses co-fondateurs de ce journal qui se veut d'information, c'est-à-dire apolitique, avec le débat neutralité/consensualisme, entre la combative (Sophie Volanthen) et le démobilisé (Frédéric Andrau) aggravé par les dissensions internes entre les membres du comité de rédaction, entre journalistes d'enquête (Frédérique Lazarini), d'investigation (Tewfik Snoussi) ou d'opinion (Morgan Perez) et une pigiste ambitieuse qui joue la mouche du coche (Marjorie Ciccone).
Dans une salle de réunion, qui se délite autour de l'impossibible compatibilté enre convictions, pragmatisme, éthique et principe de réalité, scénographiée par Goury, Yann Reuzeau impulse une mise en scène cinétique et haletante avec un enchaînement rapide façon "short-cut" des tableaux qui s'agrègent à la manière d'un écran mosaïque grâce à la synergie chorale des officiants tous excellents qui portent leur rôle avec talent et alacrité.
Une (im)pertinente et passionnante réussite. |