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Spleen I  (Shore Dive Records)  septembre 2019

Même s’ils préfèrent rester dans un relatif anonymat en prenant des pseudonymes, les musiciens qui composent le duo Fleur du mal n’en est pas à ses premières armes dans la musique.

Ce n’est donc pas un hasard si l’on retrouve dans cet EP un véritable sens de l’écriture, des mélodies, de l’harmonie et de l’impact sonore. Le résultat est une pop à la française passée au papier abrasif du post-punk, du shoegaze et du métal.

En cela la reprise de "Paris Le Flore" d’Etienne Daho est assez représentative du sens que le duo veut donner à sa musique soit des mélodies soignées prisent comme un bateau ivre dans des cyclones électriques, où l’œil n’est qu’un temps extatique. Le groupe dégage un vrai sentiment de puissance, joue savamment avec l’intensité, les nuances, les moments de tensions et de détentes, l’environnement sonore. Les textes ne sont pas oubliés versant vers un coté assez sombre, revendiquant une pureté? d’esprit et son absence de cynisme.

Comment est né Fleur du Mal ?

Faber : Fleur du Mal s’est formé très récemment, en janvier 2019, mais c’est un projet qui a été pensé pendant de longs mois avant que nous passions à l’action. Cela devait être au départ une escapade solo pour Obermann qui souhaitait plonger plus profondément dans les musiques shoegaze, post-rock voire post-métal avec du chant en français. Il avait produit une maquette, "Regrets", qu’il m’a fait écouter, et j’ai adoré. Ça sonnait exactement comme la musique que j’avais moi-même envie de faire depuis un bout de temps : une musique qui ne tourne pas le dos à la pop mais qui incorpore un son très dense, beaucoup de couches d’instruments, des guitares tranchantes, des arpèges cristallins, de la basse post-punk. C’était tellement cool que j’aurais accepté de participer à n’importe quel niveau, même juste pour faire un chœur ou une guitare rythmique.

Au final, on s’est rendus compte qu’on avait à ce point la même vision musicale que c’était l’occasion d’en faire un vrai duo, avec un partage du chant et de la composition. Comme tout groupe, on a donc commencé par répéter. On avait tellement discuté de ce qu’on voulait comme son et comme atmosphère que dès la première répétition, ça a sonné à 90 % comme on l’avait imaginé. On s’est donc dit que puisqu’on était déjà à ce point avancé qu’il fallait ne pas perdre de temps et enregistrer immédiatement, en commençant par "Regrets".

A partir de là, on a tout de suite établi un plan de travail. On sortirait en relativement peu de temps trois EPs à la structure identique : une introduction à dominante électro, trois compositions et une reprise d’un artiste pop français qui représente une influence majeure. Spleen I est donc le premier maxi de cette trilogie, et il n’a pris que quelques semaines à être enregistré, mixé et masterisé.

Parle nous de votre parcours de musicien...

Faber : Comme tu peux le voir, nous avons choisi d’avoir des pseudos pour ce projet : Obermann et Faber. C’est parce que nous souhaitons garder un peu de mystère. Nous ne fonctionnons pas comme Fauve, cependant, et n’avons jamais eu l’intention de jouer masqués ou de ne pas apparaître sur les photos, mais en faisant cela nous préférons privilégier la musique. Il ne faudra pas longtemps à l’internaute averti pour découvrir nos véritables identités, via les réseaux sociaux, mais à ce stade, je vais rester un peu évasif.

Nous avons la quarantaine, nous jouons de la musique depuis une bonne quinzaine d’années, avons séparément sorti une dizaine d’EPs et d’albums avec divers groupes, certains étant encore actifs, d’autres en standby. Jusqu’à présent, nous évoluions plutôt dans l’indie-rock voire (en ce qui me concerne) dans la chanson mais Fleur du Mal est notre première véritablement incursion dans le post-rock ou le métal. C’est à la fois quelque chose de très différent de ce que nous avons fait auparavant, qui obéit à un cahier des charges volontairement contraint, et paradoxalement ces contraintes constituent un cadre qui nous permet d’exprimer nos véritables personnalités.

Parmi ces contraintes, il y a ce qui touche au son. Le son, le timbre, les jeux de tension / détente sont au centre de votre musique...

Faber : Oui, ça, c’est quelque chose qui a été mûrement réfléchi dès la création du groupe. Il y a un véritable songwriting à la base mais ce qui compte avant tout c’est l’ambiance, le "soundwriting" en quelque chose. Certaines des chansons, lorsque nous les avons composées, étaient souvent plus courtes et avec une progression d’accords plus riche, comme de vraies chansons pop, pourrait-on dire. On a travaillé ensemble pour les réduire à leur plus simple appareil, en simplifiant la structure harmonique, puis en les étirant.

La bonne idée de départ, ce fut de se passer de batterie et de partir d’une boîte à rythme volontairement minimaliste. Nous avons passé beaucoup de temps à choisir nos effets, la façon dont les saturations et les delays allaient s’empiler les uns sur les autres, tant dans l’optique du studio que du live. Les passages qui peuvent paraître calmes sur le disque ont été en réalité joués de manière très tendue et les passages les plus explosifs sont ceux durant lesquels il y a une forme de relâchement.

À titre personnel, j’ai énormément appris sur la dynamique avec ce projet car, bêtement, jusqu’à présent, je pensais qu’il fallait faire l’inverse : jouer les passages calmes de manière nonchalante et les passages tempétueux avec le plus d’implication. Quelle erreur ! J’ai récemment revu le live de Mogwai filmé par la Blogothèque et c’est pourtant évident. Il faut voir le visage de Stuart Braithwaite sur les passages qui précèdent l’explosion dans des morceaux comme "Fear Satan" ou "Like Herrod", il est très tendu et concentré. Puis quand ça pète, il a un grand sourire. C’est d’ailleurs très beau à regarder !

Fleur du Mal possède son univers propre qui est un peu la somme de diverses influences... peux-tu en parler ?

Faber : Il y a sur ce premier EP des influences qui sont évidentes, d’autres qui le sont un peu moins. Évidemment, à la base, il y a un groupe comme Alcest qui non seulement mélange black métal et shoegaze mais qui de plus le fait en français. Nous avons bien sûr une tendresse particulière pour ce groupe ainsi que pour le groupe new-yorkais Deafheaven qui s’est sans doute lui-même engouffré dans la brèche ouverte par Alcest et a poussé ce métissage encore plus loin.

Notre originalité, me semble-t-il, provient du fait que contrairement à ces groupes, nous sommes d’une nature plutôt pop à la base. Bien qu’étant de vrais metal-heads, écoutant aussi bien des groupes classiques comme Black Sabbath que du Black Métal norvégien (Emperor, Ulver), en passant par le métal alternatif des années 90 (Type O Negative, Paradise Lost, Deftones) et l’indus (NIN, Godflesh), nous écrivons à la base de véritables chansons. Dans ce domaine, nos goûts sont plus sélectifs : nous aimons Daho, Murat et Dominique A, des artistes qui ont créé une alternative à la "chanson" dans le sens où on l’entend plus traditionnellement. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous n’aimons rien d’autre, nous avons beaucoup de respect pour des gens comme Christophe, Berger ou Souchon, mais disons que Brel, Brassens, Ferré, la "grande chanson", ce n’est pas trop notre came, quoi.

Et puis, évidemment, nous sommes très épris de shoegaze et de post-rock. Là, je ne saurais te citer tous les groupes que nous trouvons excitants car il y en a bien trop mais ça va des pionniers (Slowdive, MBV) à des artistes apparus durant la dernière décennie comme Nothing ou The Pains of Being Pure At Heart. En fait, d’une manière générale, nous avons un penchant pour toute musique qui a une démarche plus introspective et mystérieuse, avec un travail rigoureux sur l’atmosphère, les ambiances, la dynamique. Et c’est une approche qui transcende les genres musicaux, je pense.

Deafheaven ou Alcest sont souvent moqués par certains fans de métal...

Faber : Sans doute, oui. On a évidemment le droit de ne pas aimer ces groupes, mais si ce que ces moqueries signifient c’est qu’on ne peut pas mélanger indie et métal, alors, c’est totalement idiot : si Ulver a récemment confié les notes de pochettes de la réédition de leur troisième album à David Pajo, de Slint, c’est sans doute pour une bonne raison. Le shoegaze, le post-rock et le black métal scandinave sont apparus durant la même décennie, les années 90, dans des populations sociologiquement similaires – en gros les adolescents blancs des classes moyennes – et il y a bien plus de points communs entre ces personnes que ce que les classifications des magasins de musique veulent nous faire croire.

Cependant, bien qu’admirateurs de Deafheaven et Alcest, nous ne nous voyons pas vraiment comme "métal". Nous utilisons certains des codes esthétiques du métal mais nous sommes résolument pop. L’un des groupes actuels auquel nous nous identifions le plus, je pense, est Nothing. C’est un groupe estampillé "shoegaze" mais signé sur Relapse, un label métal. Leur musique sonne comme du rock alternatif des années 90, avec de vraies mélodies, mais aussi un son tranchant, résolument contemporain. Je pourrais aussi citer Chelsea Wolfe ou Emma Ruth Rundle, des chanteuses folk qui ont pourtant un univers et un public plutôt estampillés métal.

Mais les paroles sont également importantes et on ne choisit pas un nom comme spleen pour rien... Spleen et idéal ?

Faber : Bien qu’étant deux auteurs-compositeurs avec des styles bien distincts, je crois que nous partagions à la base la même conception de ce que devaient être nos textes dans Fleur du Mal. D’une part, oui, les paroles sont importantes mais elles doivent se mettre avant tout au service de la musique. Les sonorités, donc, sont tout aussi importantes que ce que nous racontons. Le bon texte, c’est celui qui coule de source et se fond dans la musique.

D’autre part, nous ne voulions pas que nos textes soient ancrés dans une forme de réalité sociale, qu’ils parlent de sujets politiques ou racontent des histoires précises. Nous voulions qu’ils parlent avant tout de sentiments, de sensations. En ce sens, nous sommes deux vrais romantiques et c’est la raison pour laquelle nous avons choisi ce nom de groupe, Fleur du Mal, et Spleen comme titre de nos trois EPs.

Ce n’est pas tant que nous soyons de grands admirateurs de Baudelaire que le fait que nous ayons chercher à renvoyer une image romanesque et littéraire. Même nos pseudos reflètent cet ancrage : Obermann est un des grands héros de la littérature du 19e et Faber fait référence aussi bien à la maison d’édition Faber & Faber qu’au héros du roman de Tristan Garcia, qui est, à mon avis, le dernier grand personnage romanesque de la littérature française contemporaine. Certains trouveront peut-être la démarche un peu prétentieuse mais tant pis. La pop, en France, est bien trop souvent engluée dans la réalité sociale et une forme de distanciation cynique ou ironique alors qu’il devrait revenir aux artistes de créer un imaginaire, de faire voyager l’auditeur. C’est ce qu’à notre échelle nous essayons de faire, avec notre musique et nos textes.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La chronique de l'album Spleen III de Fleur du Mal

En savoir plus :
Le Bandcamp de Fleur du mal
Le Soundcloud de Fleur du mal
Le Facebook de Fleur du mal

Crédits photos : Amélie Jouchoux


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