Les Mauvais Tempéraments
(Jazz & People) novembre 2019
Tout, en tout cas beaucoup de ce merveilleux disque est dans le titre : Les Mauvais Tempéraments. Bon les tempéraments ne sont pas mauvais, ils sont plutôt anciens.
Pour supprimer autant que possible l’effet sensible des commas : intervalles entre deux séquences d’intervalles purs, il a été nécessaire d’accorder les instruments, de tempérer : soit trouver un arrangement pour diviser l’octave en un nombre défini de parties.
Il est mathématiquement impossible d’avoir à la fois des octaves et des quintes pures. En musique la tension va principalement s'exercer entre la pureté des tierces et des quintes, qui sont à la base de l'accord parfait du système tonal.
Au XIXème siècle, le tempérament égal, qui consiste à décomposer arbitrairement l’octave en douze intervalles chromatiques égaux devient la norme mais avant cette période les tempéraments pouvaient changer en fonction des esthétiques, du choix des compositeurs et des tonalités.
Quatre morceaux de ce disque sont joués sur des pianos accordés en tempérament Werckmeister III. Andréas Werckmeister (1645-1706) était organiste, facteur d’orgue, compositeur et théoricien de la musique. Il rejette l’utilisation des feintes brisées et le tempérament mésotonique. Ce tempérament Werckmeister III basé sur les tonalités diatoniques est à base 7 allant de l’octave à la tierce en passant par la quinte et la quarte, et conteste les tempéraments réguliers qui favorisent la tierce au désavantage de la quinte. Les tonalités de Fa Majeur et Sib Majeur sont surtout celles qui, dans ce tempérament sonnent le plus "pures", les tonalités de Si ou Mi mineur sonnent plus rudement.
Ne vous inquiétez pas, on peut très bien ne rien comprendre aux tempéraments pour apprécier ce disque et se laisser emporter par cette musique.
Une musique qui joue donc des sonorités, des tempéraments (trois pièces : "Ahijado", "Le Désordre des choses" et "Les Mauvais Tempéraments" sont jouées en tempérament Werckmeister III et se répondent comme dans un faux miroir en tempérament égal) comme nous l’avons vu mais également, dans un même esprit que dans son disque précédent : Les Âmes perdues sorti en 2016 chez Jazz & People, avec les sonorités des différents pianos (piano droit, piano quart de queue, demi-queue, grand piano) chez qui le saxophoniste est allé enregistrer son disque. On trouve soit seul, en duo, à quatre mains les pianistes Edouard Ferlet, Eric Legnini, Yael Naim, Yonathan Avishai, Tony Paeleman, Leornardo Montana,Guillaume Poncelet et Bigyuki qui sont autant de manières de jouer et d’approcher la musique différentes.
Autant de pistes, d’atmosphères (la différence par exemple entre le tendu et électronique "Ravage" et l’aérien et presque pop "I don’t feel no home") de chemins à l’écriture pointue où les musiciens soignent le son (ce son de velours de Christophe Panzani), les lignes mélodiques, les chorus, les harmonies. Le phrasé est tout en finesse, le son est tout en rondeur, voluptueux, délicat mais cela n’empêche nullement les envolées. Superbe.