Qui de mieux pour nous parler de l’Algérie que son spécialiste Benjamin Stora ? Historien majeur du 20ème siècle, Benjamin Stora est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Algérie et l’Histoire du Maghreb dont La gangrène et l’oubli, Les trois exils, Juifs d’Algérie ou Les mémoires dangereuses. Il a présidé le Conseil d’orientation du musée national de l’histoire de l’immigration.
Son dernier ouvrage, actualisé depuis les élections présidentielles en Algérie de décembre 2019, porte un regard majeur sur la révolution algérienne de 2019 qui a vu la chute de son président Bouteflika. Le 22 février 2019 dernier débutait en Algérie un vaste mouvement pacifique de protestation contre le régime. L’historien Benjamin Stora en retrace ici l’histoire immédiate. Le récit de ce grand spécialiste du Maghreb et de l’Algérie prend ici toute sa dimension : confronter la longue durée au présent qui surgit. Nommer ce qui se produit aujourd’hui, dire qu’il s’agit bien d’une révolution et y déceler les retours d’histoire qui s’opèrent. Montrer les espoirs et les inquiétudes qui existent sur cette séquence historique.
Les manifestations qui rassemblent chaque vendredi plusieurs millions d’Algériens se succèdent durant des semaines : toute une partie de la société civile qui s’était écartée du politique par lassitude et fatalisme se dresse et renverse en quelques semaines le président en place depuis des décennies. Quelle page de son histoire la nation algérienne joue-t-elle alors ? Quel est ce peuple qui se lance à la conquête de son histoire ? L’Algérie, souvent tiraillée entre des mémoires douloureuses, trouvera-t-elle dans la voie démocratique la force d’unification nécessaire à sa destinée nouvelle ?
L’ouvrage qui compte à peine 150 pages est parfait pour comprendre l’Algérie d’avant Bouteflika mais aussi pour appréhender l’image de la nation sous Bouteflika. Il nous permet de bien comprendre comment Bouteflika est arrivé au pouvoir, ses débuts difficiles, ses réélections faciles puis les fissures se développant au sein de son pouvoir au fil des mandats.
Dans son ouvrage, l’auteur utilise ce qu’il appelle des retours d’histoire ou des reprises d’histoire qui sont essentiels pour comprendre l’histoire tourmentée de l’Algérie. Spécialiste de l’histoire mémorielle, il ne peut pas faire l’impasse sur les mémoires conflictuelles de la guerre d’Algérie qu’il analyse avec érudition, nous offrant des pages passionnantes.
Il revient évidemment sur la colonisation, sur l’indépendance de l'Algérie et ses conséquences. Une guerre d’Algérie source de tensions mémorielles qui entraînent des rapports tendus entre la France et l’Algérie. Il nous montre comment les deux pays ont récrit à leur facon les sept années de guerre, sans que ni l’un ni l’autre, n’ait vraiment assumé la vérité de l’histoire.
Un long chapitre est consacré à la chute de Bouteflika, montrant la grande opacité autour de sa santé, ses appuis qui le lâchent rapidement après les marches populaires, les mobilisations de l’immigration algérienne contre lui et une jeunesse qui n’en veut plus. Très vite, le système implose et les services de renseignements montrent leurs limites et l’armée se met à jouer un rôle ambigu.
Une question se pose alors, objet de l’ultime chapitre, sur l’intérêt de cette révolution. Une révolution pour rien ? Bouteflika est parti mais l’Algérie reste en difficulté, notamment sur le plan économique. La colère gronde toujours. Un nouveau président vient d’être élu, ancien ministre et chef de gouvernement de Bouteflika. La contestation n’est pas éteinte.
Alors voilà, l’ouvrage de Benjamin Stora ne m’a pas déçu, il est à la hauteur du talent de cet historien qui sait expliquer clairement les ressorts de cette révolution algérienne. Il nous montre avec brio que ce mouvement populaire à l’origine de la chute de Bouteflika s’inscrit dans la tradition politique de l’histoire de la nation algérienne. C’est donc un livre essentiel que nous propose Benjamin Stora. |