C'est à l'occasion de la sortie de l'album Doppelgänger qui vient tout juste de sortir que Joseph d'Anvers nous a accordé un peu de son temps pour répondre à nos questions.
Ton dernier album est sorti il y a maintenant six ans. Ce nouvel album est donc un projet que tu portes depuis longtemps, tu as fait d’autres choses entre temps, tu avais besoin de faire une pause musicale ?
Joseph d'Anvers : J’ai l’impression que tous les plans que je fais à chaque fois ne se réalisent pas. Donc j’apprends à gérer ça. Je m’étais dit après Les matins blancs, je vais faire vite un album dans la foulée. Ma tourneuse, ravie de la tournée qui avait suivi l’album m’avait dit que cela serait cool qu’on puisse enchaîner. Et puis j’ai eu une sorte de coup d’arrêt dans ma vie familialo-amoureuse, associé à des soucis de santé qui ont fait que pendant 8 mois j’ai fait un break de tout. J’ai essayé pendant ce temps de remettre de l’ordre dans ma vie.
Au bout de ces 8 mois, j’ai eu envie d’écrire un livre, envie de me lancer dans l’écriture d’un roman. Cela m’a pris alors plusieurs mois puisque j’ai écrit plus de 350 pages. Il m’a fallu alors chercher un éditeur, ce qui est arrivé très vite avec Emilie Colombani de chez Rivages. Le livre est ensuite sorti, la promo a commencé et j’ai eu ensuite une proposition de Loo Hui Phang pour composer la B.O. de sa pièce de théâtre Jellyfish. C’était pour moi un projet assez dingue avec le styliste de Beth Dito où l’on me demandait de composer une bande son électro, d’inspiration lynchienne assez dark. Ils m’ont demandé d’aller au bout de ce que j’avais envie de faire.
Cette collaboration, comme celle avec Emilie Colombani s’est passé comme dans un rêve. A travers le livre et cette collaboration avec Loo Hui Phang, je me suis rendu compte que c’était ce que je recherchais, qu’il y ait de l’évidence, de l’envie, du désir, un peu comme dans un couple et non pas une routine ou une obligation. Quand tu fais des albums en maison de disques, tu rentres dans un processus qui devient différent de ce pourquoi tu as choisi de faire de la musique au départ. De là, je me suis dit, c’est ça que j’ai envie de faire, j’ai envie que la musique soit une des tentacules de la pieuvre (j’ai fait aussi des musiques pour le cinéma).
Du coup, je vais créer ma structure qui va me permettre de pouvoir produire tout ça. Et donc à ce moment-là l’envie de refaire de la musique est revenue. J’ai donc écrit une poignée de chansons, je suis allé en maison de disques, je suis sorti déprimé à chaque fois, avec l’impression de ne plus avoir ma place là-dedans. Je me suis alors dit qu’il fallait que ces chansons je les fasse différemment, à tous points de vue. De là a commencé le processus Doppelganger.
Du coup, on voit bien que tu aimes passer d’un univers culturel à un autre, de la musique à la littérature en passant par les B.O. de théâtre et de cinéma et le roman graphique. Il ne te manque plus qu’un rôle au cinéma ?
Joseph d'Anvers : Là je pense qu’il y a encore de la marge. J’ai une copine, directrice de casting, qui m’a proposé il y a quelques années de venir faire un casting. J’ai flippé quinze jours avant, j’ai été très mauvais, elle m’a dit : "c’est pas mal, c’est pas mal" pour me faire plaisir. En revanche, dans mes derniers clips, j’ai pris du plaisir et si je retournais vers le cinéma, je pense que j’irai plus vers la réalisation. Cela serait un nouveau challenge, cela ne sera pas le plus simple mais pourquoi pas. Je sais que j’ai allumé une petite case dans ma tête, je sais que je dois commencer à y réfléchir, trouver une idée de base de scenario. Pour l’instant, je ne trouve pas encore l’idée qui me fait frétiller.
Tu as déjà une formation dans le cinéma, il me semble ?
Joseph d'Anvers : Oui à la FEMIS, j’ai une formation à l’image. L’idée de base était de passer par l’image pour accéder à la réalisation. Je considérais qu’en rentrant à la FEMIS, dans une filière dite technique autour du montage et de l’image me permettrait de passer à la réalisation. L’idée était d’apprendre à faire des films techniquement, après la réalisation, la mise en scène j’ai l’impression que ce n’est pas quelque chose que tu apprends forcément, que c’est de la sensibilité, que c’est de manier de l’humain. Quand tu fais de la musique et que tu gères des gens avec pas mal d’égo, tu commences à savoir ce qu’est l’humain.
Tu as donc créé ton nouveau label, avant tu étais chez Atmosphérique, c’était donc une volonté de ta part ?
Joseph d'Anvers : Rien n’a vraiment été pensé. J’ai l’impression que depuis mes débuts je subis les choses, elles m’arrivent et puis du coup je les prends. Je n’ai pas l’impression d’aller chercher les choses. Mais en même temps, ces choses qui m’arrivent sont des choses plutôt bien. Je me dis donc qu’au final, je ne dois pas être aussi passif, que je dois provoquer ces choses. Pour ce qui est du label cela concourait de plusieurs choses : ne plus avoir envie de dépendre d’une structure, ne plus avoir à prouver à chaque fois que l’idée était bonne.
Un des déclics a vraiment été Jellyfish parce que cette collaboration a été jouissive. Je mettrai en parallèle le roman graphique où pour la première fois, l’éditeur et le producteur me donnait de l’argent ainsi qu’au dessinateur en nous disant : "faites ce que vous voulez les gars". Plus vous irez là où vous avez envie d’aller plus je serais heureux et mieux cela sera.
J’ai trouvé cela génial et je me suis demandé quand et comment on avait perdu cela dans la musique. Je me suis donc lancé dans la création de mon label, cela me donne beaucoup de travail mais cela m’a permis de faire l’album que je voulais. Du coup je suis obligé de l’assumer, j’ai retrouvé le goût et le pouvoir de faire un choix, que j’avais un peu oublié. J’ai dû m’interroger sur "est-ce que j’aime ou pas ou ce que je fais".
Avec cette maison de disque, je peux aller où je veux, je n’ai pas besoin de vendre le projet à quelqu’un. Pour les collaborations, je peux facturer facilement avec ma boîte. J’ai l’impression que maintenant il y a clairement un choix de monde à faire, comme dans la société, où tu choisis de suivre une sorte de monde capitaliste qui t’impose des choses, où tu commences à changer de logique ou de mentalité. J’ai eu une prise de conscience, à mon échelle, avec ma musique.
Maintenant que tu as cette structure, aurais-tu envie à ton tour de devenir un directeur artistique tyrannique avec d’autres artistes que tu produirais ou est-ce que c’est juste une structure pour toi et tes différents projets ? Tu vas éditer d’autres choses que des disques ?
Joseph d'Anvers : Je n’en sais rien car à chaque fois que j’ai des plans, ils ne se réalisent pas. L’idée de base était de produire mes projets mais tout doucement je suis en train de me dire que je pourrais faire d’autres choses. Il y a deux chanteuses qui m’ont envoyé des maquettes pour avoir mon avis et je trouve ça hyper bien. Je me dis que ça doit aussi être génial de produire. Si je vais dans cette direction-là, mon envie serait de produire financièrement mais aussi artistiquement. L’idée serait de dire je fais entrer quelqu’un d’autre dans le giron Doppelganger pour lui donner une véritable identité. Doppelganger, c’est donc au départ l’idée très modestement de produire mes trucs pour ensuite aller plus loin dans d’autres productions. Tout doucement on devrait y aller.
Cette structure t’a permis aussi de travailler indépendamment sur ta pochette et le vinyle, les deux sont sublimes d’ailleurs. Cette pochette me fait penser au film Drive et j’ai l’impression que cette pochette nous indique un passage vers les musiques électroniques. Pourquoi ce choix de changer d’univers musical ?
Joseph d'Anvers : Avec cette structure, j’ai eu l’occasion de pouvoir créer une musique que je fais depuis longtemps. Comme j’avais fait cette B.O., j’ai pris conscience que le projet Joseph d’Anvers m’enfermait dans quelque chose et je m’empêchais de faire d’autres choses, notamment les musiques électro.
Quand j’étais en maison de disque, on me demandait toujours c’est quoi le thème de ton disque. Là pour les premières chansons, je me suis dit les textures électro que je mets dans mes ciné concerts, dans les pièces de théâtre, je me l’interdis dans mon propre projet. C’est totalement con. Les gens peuvent très bien encaisser que dans mes chansons il y ait des "boum boum" et du synthé. Les premiers morceaux, je les ai conçus en me disant ne pense pas aux suivants. Ne pense pas cohérence.
Sur les matins blancs j’avais une ligne directrice. Il me fallait trois guitares pour avoir trois types de sons bien définis. Pour Doppelganger, je n’avais pas du tout de ligne directrice. Très naturellement, j’ai fait les trois premiers morceaux chez moi, je n’avais pas de batterie donc j’ai donc programmé un pattern. Tout ça m’a plu et j’ai enchaîné d’autres titres. Après en studio, je me suis rendu compte que j’avais aussi besoin de piano-voix. Il fallait que je fasse une chanson comme l’inconséquence. Tout est né en fonction du désir.
Alors du coup tu écris tes textes avant les musiques ou l’inverse ?
Joseph d'Anvers : Ça dépend. Pour cet album, je n’ai pas eu de logique. L’album a des chansons comme Los Angeles ou Les palaces qui ont plus de dix ans et d’autres et d’autres qui datent de mars dernier comme l’inconséquence.
La chanson du confinement en quelque sorte ?
Joseph d'Anvers : Oui c’est ça. Quand tu écoutes c’est ça, cela parle d’un monde d’après, de ma séparation avec la mère de mes enfants, de la pandémie, de l’adolescence. C’est une petite chanson dans l’album qui pour moi est très importante. J’avais quand même l’envie que le texte passe un peu derrière dans un premier temps et puis très vite je me suis dit que cette idée était totalement con. Je me suis alors dit qu’il me faudrait construire le texte différemment par rapport aux précédents albums.
L’idée était alors de créer des histoires et de me mettre dans la peau de différents personnages. L’idée donc d’endosser des rôles différents. En créant ces choses-là, on se retrouve alors dans un rapport beaucoup plus cinématographique. Pour la musique, quand j’ai commencé à bosser avec les gens qui m’entouraient, je leur ai dit qu’on devait concevoir ça comme des musiques de film. Pareil pour la pochette avec Courtney Roy, je voulais qu’elle ressemble à un photogramme. Je lui ai parlé de drive, de Wong Kar Wai. Je lui ai donné plein de références, elle a secoué tout ça et cela a donné cette pochette.
Dans le tracklistening de l’album, double album en vinyle, encore une chose qu’une maison de disque aurait pu te refuser, se trouvent des petites pastilles qui sont soit des morceaux instrumentaux, soit des dialogues de films. Quel est le but ? Pour renforcer l’aspect cinématographique ? Pour approcher le morceau suivant ?
Joseph d'Anvers : Un peu les deux en fait. C’est quelque chose que je fais beaucoup sur scène., surtout quand je suis en solo. En grande partie car j’ai besoin de temps en concert entre les morceaux, pour changer de guitare notamment. En concert, ces morceaux étaient beaucoup plus expérimentaux, souvent des dialogues de films qui se répondent.
Pour cet album, je me suis dit qu’il allait être dense, assez chargé, que les textes racontent des trucs et qu’il va falloir ces petites séquences pour que l’auditeur puisse avoir une pause. Ces petits morceaux fonctionnent comme des rotules, l’album en possède quatre qui créent un autre univers, qui cassent le rythme. Et parfois, cela permet d’introduire le thème suivant comme le passage de Patrick Dewaere qui introduit le titre Hôtel des Amériques.
Il y a un extrait de Jean Eustache et tu n’as pas fait l’erreur de prendre le même extrait que Diabologum.
Joseph d'Anvers : En fait je ne sais pas si tu as remarqué mais il y a deux références à Diabologum dans l’album. Il y a celle dont tu viens de parler et la deuxième présente dans le titre Les terres sacrées, dans le refrain qui dit "il n’y avait rien à gagner ici" en référence à Il n’y aura rien à gagner ici de Diabologum.
J’ai entendu certains titres de l’album en acoustique et je les trouve super beaux aussi.
Joseph d'Anvers : Même si c’est un album a grosse sonorité électro, j’ai voulu que toutes les chansons soient composées guitare et piano voix. Si ça ne marchait pas en guitare piano voix, je ne la prenais pas.
On peut en savoir plus sur ce titre Doppelganger qui est aussi le nom du label.
Joseph d'Anvers : J’aime beaucoup l’Islande, les groupes, l’atmosphère, les réalisateurs. J’ai fait un voyage il y a quatre ans qui m’a marqué. Je regardais la saison trois de Twin Peaks et dedans cela parlait souvent du Doppelganger. J’ai trouvé que le nom claquait bien, j’ai donc recherché des informations sur ce terme qui dans la mythologie nordique évoque le double, le sosie. Cela évoquerait le fait que sur terre se trouve ton double et qu’il ne faut absolument pas le croiser car c’est un signe de grand malheur. Ils en parlent aussi dans la série Dexter.
Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de référence dans la culture populaire à ce mot, avec tout ce que cela véhicule comme le jumeau maléfique ou le Dark passenger comme dans Dexter. Ce nom m’est donc d’abord venu pour le nom de ma nouvelle structure puis pour le nom de l’album. Ce nom sonne pour moi comme un nouveau départ.
On a donc bien compris que cet album n’a pas été fait pendant le confinement mais qu’il remonte bien avant.
Joseph d'Anvers : Oui mais en même temps le confinement n’a fait que renforcer ce que l’on commençait à traverser. Le morceau "Voyez comme ils dansent" a été écrit en même temps que le roman. C’est un peu la version musicale de Juste une balle perdue, mon roman. On m’en parle beaucoup dans la promo de l’album. On me dit que cela parle d’une jeunesse pas forcément heureuse mais qui joue le jeu de la jeunesse. C’est le privilège de la jeunesse de pouvoir danser. Beaucoup pensent qu’il y a un écho par rapport à ce qui se passe en ce moment. Les jeunes ont envie de danser en ce moment.
Les combattants et Je viens d’ailleurs sont aussi récentes ?
Joseph d'Anvers : Ce sont des chansons écrites il y a un an ou deux. Je viens d’ailleurs a été écrite après avoir vu un superbe documentaire qui s’appelle La nef des fous. Un documentaire fabuleux sur l’annexe de l’hôpital psychiatrique de Bruxelles où se trouvent les fous du dernier degré qui ne sortiront plus.
Chanter en anglais, ce n’est pas d’actualité ?
Joseph d'Anvers : Non pas vraiment. Je participe a un projet pour un tout petit label qui a été créé pour éditer un bel objet en hommage à Leonard Cohen avec un double disque et un livre. Il y a le mec de Dead Can Dance dans le projet. On m’a donné la chanson The Partisan qui n’est pas la plus simple. J’ai fait un truc bien loin de l’original qui a plu au label. Je vous en reparle dès que cela sort si vous voulez.
On m’a aussi proposé de faire une soirée à la Maison de la Poésie à Paris avec deux lectrices et des chansons.
Tu as fait des collaborations que l’on connait tous, avec Bashung, Rivers. Tu as l’intention d’en faire d’autres ? Tu as des projets d’écrire des choses pour d’autres.
Joseph d'Anvers : Pour l’instant, il y a deux artistes de leur trempe pour lesquels j’ai écrit des morceaux. Je ne peux pas encore en parler mais les albums de ces artistes devraient sortir cette année. Je fais ça via ma boîte sous la forme de collaboration. Je suis ouvert à travailler avec de nombreux artistes. J’en profite pour dire que le livre que j’ai écrit sort en poche bientôt.
Tu as l’intention d’en écrire un autre ?
Joseph d'Anvers : Pour l’instant non car c’est un travail de dingue et en plus écrire un livre ne rapporte pas grand-chose si l’on considère le temps investi et ce que l’on gagne ensuite.
Et une adaptation du livre en film, c’est possible ?
Joseph d'Anvers : J’aimerai bien que cela se fasse mais en même temps beaucoup de livres adaptés en film ne sont pas réussis. A chaque interview en promo, on me parle du côté cinématographique du livre.
Il y a je suppose des projets de concert ?
Joseph d'Anvers : Oui évidemment, on a une date pour Paris le 29 septembre au Café de la Danse. D’autres dates commencent à tomber, j’espère que cela va continuer. Cela prend bien pour l’instant. J’ai gardé le tourneur des Matins Blancs pour la tournée.
Si tu devais partir sur une île déserte et ne plus voir une amie ou un ami, quel disque tu choisirais pour lui offrir pour que quand elle ou il l’écoute elle pense à toi ?
Joseph d'Anvers : Je ne sais pas pourquoi mais je pense de suite à Harvest de Neil Young. La première fois que je l’ai écouté en vinyle chez un pote, j’ai trouvé cela d’une classe folle et d’une beauté incroyable. Je me suis dit c’est ça que je veux faire.
Merci beaucoup de nous avoir consacré autant de temps, cette discussion fut très sympathique. On se revoit très bientôt pour tourner une session autour de ton dernier album qui est vraiment excellent. A bientôt.
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