Nonobstant la terminologie, l’École de Paris ressort davantage à une nébuleuse qu'à un mouvement stylistique institutionnel en regroupant, du dadaisme au réalisme, les tendances artistiques qui se sont manifestées à Paris pendant la période 1890-1940.
Ce qui explique le choix de l'intitulé de l'exposition "Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1905-1940" organisée par le Musée d'Histoire et d'Art du Judaïsme dont le commissariat est assuré par Pascale Samuel, conservatrice de la collection moderne et contemporaine du musée.
Celle-ci présente un florilège d'oeuvres de peintres et de sculpteurs d'origine juive venus d'Europe et de Russie arrivés à en France entre 1905 et 1914 et qui se sont installés à Paris, alors considérée comme la capitale de l’avant-garde de l’art et de la culture et riche de la vitalité de son marché de l'art et des grands salons propices à la promotion des talents émergents.
Pascale Samuel propose de suivre de manière chronologique et pendant un peu plus de trois décennies jusqu'en 1940, année de promulgation de la loi définissant le statut des juifs et de celle instituant l'internement immédiat des ressortissants étrangers de race juive, le parcours de ceux qui, indique-t-elle, partagent "une histoire commune, un idéal et, pour certains, un destin" au sein du quartier de Montparnasse dans les ateliers de La Ruche ou de la Cité Falguière.
Une communauté d'artistes en leur terre d'élection
Pour certains peintres et sculpteurs, leur nom de famille résonne dans la mémoire des amateurs d'art même néophytes. Ce n'est pas le cas pour beaucoup d'autres dont ceux disparus dans l'apocalypse de la Shoah qui figurent sur le mur mémoriel composé d'une centaine des clichés du photographe Marc Vaux pris dans les années 1920 en regard de la sculpture symbolique "La Fuite" de Jacques Lipchtitz et du bouleversant poème "Aux artistes martyrs" de Marc Chagall.
L'exposition présente donc, sans préséance honorifique ni distinction de notoriété ou marchande, un large panorama d'oeuvres de cette communauté d'artistes juifs et elle a été judicieusement conçue en dix sections non compassées avec un fil rouge aussi didactique que dynamique.
Car twisté par une approche différenciée, historique, comme la polémique antisémite lors du Salon des Indépendants de 1925, esthétique, entre fondamentaux communs et expressions formelles différentes, ou identitaire avec le tropisme pour le genre du portrait (sculptures de Chana Orloff, "Portrait d’Hermine David" et "Alfred Flechtheim en toréador" de Jules Pascin), "Femme au châle polonais" de Moïse Kisling).
Ainsi certaines sont articulées autour d'un lieu ainsi pour évoquer La Ruche avec Pichus Krémègne, Léon Indenbaum, Michel Kikoïne et Marc Chagall sous l'égide du "Prophète" de Ossip Zadkine.
ou autour d'une figure représentative tel Jules Pascin surnommé "le prince de Montparnasse" pour la période des Années folles et Modigliani pour évoquer le cercle de Montparnasse ("Lolotte", "La chevelure noire", "Portrait de Dédie", "Tête de femme").
D'autres
mettent l'accent sur l'influence cubiste dominant les avant-gardes pour la statuaire
avec notamment Jacques Lipchitz ("Baigneuse", "Marin à la guitare", "Nature morte aux instruments) et en arrière plan Zadkine ("Le Prophète")
et pour la peinture avec Alice Halicka ("Nature morte au violon", "Nature morte cubiste"), Otto Freundlich ("Masque d'homme gris", "Composition") auquel le Musée de Montmartre a consacré une rétrospective en 2020 ("Otto Freundlich - La révélation de l’abstraction"), Vladimir Baranoff-Rossine ("Composition abstraite"), Pinchus Kremegne ("Le Musicien aveugle") et en vitrine Sonia Delaunay ("La prose du transibérien et de la petite Jehanne de France").
alors que d'autres peintres font un grand écart stylistique en s'inscrivant dans l'expressionnisme avec Henri Epstein ("La Famille"), Emmanuel Mané-Katz ("La lecture"), Georges Kars ("Femme au châle gris") et Michel Kikoïne ("Femme en buste")
A ne pas rater le niveau 2 dédié à la Grande Guerre 14-18 introduit par "Le salut" de Marc Chagall et "La Mort et la Femme" de Marevna, , la salle dédiée à Simon Mondzain avec ses encres sur papier et les deux toiles "La Faim" et "Homme à la Lettre".
Concomitamment, le musée rend hommage à Hersh Fenster, auteur de l'ouvrage "Nos artistes martyrs" publié en 1951 avec l'exposition "Hersh Fenster et le Shtetl perdu de Montparnasse". |