Réalisé par Gero von Boehm. Allemagne. Documentaire. 1h29 (Sortie juillet 2021).
Souvent les documentaires qu'on pourrait qualifier de "biopic" ne travaillent pas vraiment leur forme et se contentent d'aligner les documents sur le personnage concerné et les interviews de personnalités qui ont compté dans sa vie.
La réussite de "Helmut Newton, l'effronté" de Gero von Boehm, au contraire, vient de ce qu'elle construit un vrai portrait d'un créateur majeur du vingtième siècle, qui n'a pas simplement photographié ses contemporains mais dont le regard amusé fut l'un des plus avisés sur la société contemporaine, vue sous le prisme et le prétexte des photos de mode qu'on lui commandait dans les plus grands journaux du monde, d'Elle à Vogue.
Ayant déjà consacré un film au couple formé par Helmut et June Newton, devenue elle aussi une très grande photographe de mode sous le pseudonyme d'Alice Springs, et venant hélas de décéder en avril 2021, Gero von Boehm a, cette foi-ci, demandé principalement aux femmes qu'il a photographiées pendant une cinquantaine d'années pour leur plastique, certes, mais surtout pour ce qu'elles dégageaient naturellement.
Des top modèles comme Grace Jones et Claudia Schiffer aux actrices comme Charlotte Rampling et Hanna Schygulla, en passant par la célébrissime Anna Wintour et la chanteuse Marianne Faithfull, toutes les femmes qui ont été magnifiées par Newton, et qui ont été également ses amies, toutes disent combien il a compté pour elles, combien travailler avec lui fut une chance.
Toujours souriant, cet homme qui échappa à la barbarie nazie a traversé son siècle avec une bonhomie bon enfant, un air sinon effronté comme le sous-entend le titre du film mais en tout cas avec un visage rigolard et plein de malice.
Dans une séquence extraite d'un numéro d'"Apostrophes", il fait gentiment face à l'immense Susan Sontag qui le traite de macho et de misogyne, sans pour autant lui jeter l'anathème. Sans se départir de sa bonne humeur, il prétend au contraire être quelqu'un qui a toujours aimé les femmes et n'a jamais, dans toute sa carrière, proposé un cliché qui aurait été dégradant pour elles.
Pendant toute la projection d' "Helmut Newton, l'effronté" de Gero von Boehm, on aura l'occasion de voir des centaines de ses clichés et l'on pourra effectivement constater que rien n'est susceptible d'être considéré comme offensant pour la femme, rien n'entre dans la catégorie du mauvais goût.
Ce qui, un moment, à une époque, fait polémique ou scandale, entre le temps passant dans ce qu'il a réussi de meilleur. Ses photos en noir et blanc s'avèrent presque à chaque fois des marqueurs d'un temps passé.
Faire un film sur Newton, au moment où le féminisme est plus vindicatif, paraît un défi à l'ère de "Me Too" et l'on peut aussi craindre que son esthétique est vieillie. Or, il n'en est rien.
Regarder le travail d'Helmut Newton, au contraire, c'est être nostalgique d'un temps où la "futilité" qu'est la mode était prise au sérieux et produisait du beau, un beau non stéréotypé et en éternel recherche de l'étape d'après.
Comme ces femmes qui ont approché son objectif, on ressent une grande sympathie pour cet homme qui a réussi sa vie à la fois personnelle, avec June-Alice, sa muse et sa partenaire, et professionnelle en contribuant par son art subtil à donner à la mode ses quartiers de noblesse.
"Helmut Newton, l'effronté" de Gero von Boehm est un film qui convaincra de la grande valeur de ce faux-dilettante, de ce faux-provocateur et de vrai amoureux de la vie. |