Still Moving
(Ponderosa Music Records) octobre 2021
"Ils font semblant d’avoir été piqués par certaines bêtes qui peuplent la région de Tarente (d’où elles prennent leur nom) et d’être tombés malades par cette maladie qui les rend fous. Ils vibrent, tapent leur tête, ils tremblent des genoux et, poussés par la musique, ils chantent et dansent, ils bougent les lèvres, grincent des dents et se comportent comme des fous. Ils ne demandent rien mais leurs amis crient qu’ils sont "attarantati" pour demander l’aumône..." Frianoro, Il Vagabondo, Viterbo 1621.
Disons-le tout de suite, pas de suspens, c’est à un très beau moment musical que nous convient Justin Adams et Mauro Durante. Ce disque, c’est la rencontre entre deux hommes, deux univers. D’un côté le blues, le rock, le désert avec le guitariste et chanteur Justin Adams (Robert Plant avec les Sensational Space Shifters, Tinariwen, Juldeh Camarah, Lo'Jo, Rachid Taha, Najat Aataboulla), de l’autre l’Italie, la pizzica tarantata avec le violoniste, percussionniste, chanteur Mauro Durante (Goran Bregovic, Ibrahim Maalouf, Piers Faccini, leader du célèbre Canzoniere Grecanico Salentino, groupe de musique traditionnelle le plus important du Salento, le premier formé dans les Pouilles, avec un répertoire autour de la pizzica tarantata, dérivée de la tarentelle, cette danse comme remède aux piqures de l’araignée tarentule).
"Dans le sud de l’Italie des femmes en jupe qui travaillaient dans les champs étaient "mordues" aux jambes par une araignée que l’on appelle la tarentule. Une fois piquées, elles se mettaient à trembler, à délirer puis elles s’immobilisaient, comme tétanisées. Étrangement, aucun traitement ne pouvait les soulager, à part, pensait-on, la musique. Alors que la malade était couchée, des musiciens improvisaient différents rythmes et mélodies jusqu’à la faire réagir. La femme se mettait alors à faire des mouvements saccadés et à bouger peu à peu comme une araignée. Ce rituel pouvait durer 3 jours, en continu, jusqu’à épuisement de chacun. On racontait que la femme était alors "guérie" pour une année, puis le mal revenait et le traitement devait reprendre. Cette forme de danse et de musique s’appelle la pizzica (piqûre en italien). Comme l’explique Sophie Hulo Veselý.
Cette rencontre n’a rien esthétiquement de surprenant : les deux genres partagent notamment le goût pour la transe, les tourneries rythmiques, les mélodies entêtantes et puis la fonction d’exutoire à une population soumise à l’oppression. Pour le tarentisme à une oppression masculine, morale et ecclésiastique. La tarentelle étant dansée majoritairement par des femmes.
Il y a du mystère, de l’intensité, des arabesques, une énergie, beaucoup de poésie, forcément un sacré sens du groove, l’évocation de voyages méditerranéens (forcés ou mythologiques), l’Italie, l’Afrique, l’Amérique dans ce disque. Leur répertoire va du blues du Delta à celui d'inspiration africaine, des complaintes du sud de l'Italie et des chansons traditionnelles comme "Damme la manu" ou "Little Moses" (The Carter Family) avec des chansons originales.
"Still" pour l’immuable, "moving" pour l’opposé, pour "exprimer un besoin primordial de mouvement, de voyage. Les gens voyagent pour apprendre, mais aussi parce qu'ils sont parfois contraints de quitter leur terre natale pour échapper à des conditions de vie inhumaines". Superbe.
# 15 mai 2022 : En mai cultive toi comme il te plaît
Après une belle soirée en compagnie de KATEL vendredi, le replay est ici, c'est reparti pour une semaine d'actualité culturelle vue par nos chroniqueurs en attendant la déjà 48eme Mare aux Grenouilles en direct samedi !