Réalisé par Radu Jude. France. Comédie. 1h46 (Sortie 15 décembre 2021). Avec avec Katia Pascariu, Claudia Leremia, Olimpia Malai, Nicodim Ungureanu, Alexandru Potocean et Andi Vasluianu.
Radu Jude a le chic pour cliver les spectateurs. Ceux qui ont vu son précédent film sorti en salles, "Peu m'importe si les autres nous considèrent comme des barbares" (2018), outre son titre peu commun, avait déjà hésité sur quoi en penser. Nouveau grand nom du cinéma roumain ou candidat à "l'épate-bourgeois" ?
"Bad Luck Banging or Loony Porn", qui aurait mérité un titre en français pour convaincre davantage de spectateurs, obligera les uns et les autres à se ranger soit dans le camp adoubant le "jeune génie" , soit dans celui honnissant le "vil imposteur".
Il faudra - et le devoir du critique est de le dire d'emblée - ne pas s'offusquer des cinq premières du film avec son authentique fellation et sa levrette non simulée, car, même si l'on reverra ensuite (plus elliptiquement) quelques gâteries dans la deuxième partie de cette œuvre singulière, elles choqueront moins que ces préliminaires inattendues dignes d'un porno amateur.
Autre surprise notable : chaque partie sera précédée d'un carton rose à vertu drolatique sur lequel une voix off très connu taquinera la muse... Eh oui, tous les francophones auront la surprise d'entendre dans le film de larges extraits de la chanson "Toto" interprétée par son génial créateur, Bobby Lapointe !
Et de surprises, il y en aura dans ce triptyque composé de trois moyens-métrages. D'abord, l'on suivra l'héroïne malheureuse, ayant tourné à son corps défendant une "sextape" qui va lui empoisonner l'existence, traversant Bucarest pour accomplir ses courses, interrompues par d'intempestifs appels sur justement le sujet du jour qui fâche, et s'apprêtant à rejoindre le lycée où elle enseigne et où elle va expliquer "son geste" à sa directrice et aux parents d'élève qui devront ensuite se décider à lui pardonner ou pas d'avoir malencontreusement exposé sa nudité en pleine action sur "you porn".
Cela fera l'objet de la troisième partie du film, la deuxième étant un abécédaire fourmillant de références et de saynètes assez incongrues, où seront entre autres cités Cioran, Bourdieu, Todorov, Paul Celan, Curzio Malaparte, Witold Gombrowicz, Milan Kundera... et même Pascal Quignard !
Cette partie s'intitule avantageusement : "Petit dictionnaire d'anecdotes, de signes et de merveilles". Elle rasera certains mais, on l'espère, en fera mourir de rire quelques autres. En tout cas, elle émane d'un cinéaste qui étale une grande culture, une culture qui tranche avec la trivialité de son prologue.
Quant à la première partie, longue promenade dans Bucarest un après-midi, elle aussi entraînera sans doute des réactions différentes : virtuosité du cinéaste pour montrer une ville et ses habitants particulièrement énervés, sans gêne (surtout quand ils arborent des signes extérieurs de richesse comme des 4 x 4) et très divers socialement ; toupet sans nom pour imposer des dizaines de minutes sans réelles nécessités que nombre de ses collègues auraient coupé au montage...
Reste le suspense final : la prof exhibitionniste sera-t-elle absoute pour quelques minutes consacrées au phallus ou vouée aux gémonies pour avoir oublié ses devoirs d'enseignante ?
On n'en dira pas plus, sauf que "Bad Luck Banging or Loony Porn" de Radu Jude a obtenu l'Ours d'or à Berlin et qu'il faudra encore attendre quelques films de l'impétrant pour décider définitivement s'il se moque du monde gratuitement ou s'il annonce le retour de ces grands provocateurs qui manquent terriblement au cinéma depuis plusieurs décennies. |