En 2007, l'artiste plasticien allemand Anselm Kiefer inaugurait l'événement Monumenta initié par la Réunion des Musées Nationaux consistant en l'exposition annuelle d'une œuvre d'un artiste majeur contemporain spécialement conçue pour l'espace de la Nef du Grand Palais.
Unique artiste vivant dont une oeuvre est présente au Musée du Louvre, Anselm Kieferet bénéficie régulièrement de commandes publiques, telle en 2020 celle du Président de la République à l’occasion de l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix et de l'hommage aux soldats de la Grande guerre avec des oeuvres-vitrines dont certaines installées à demeure.
En 2021, pour la 15ème édition de Monumenta, il est de nouveau à l'affiche avec un ensemble de 23 pièces monumentales réunies sous l'intitulé-dédicace "Pour Paul Celan".
En effet, il a été commandité par Chris Dercon, le directeur actuel de la RMN-Grand Palais dans le cadre, indique celui-ci, du centième anniversaire de la naissance du poète Paul Celan, rescapé des camps de concentration et figure de la littérature mémorielle de la Shoah, du travail de Anselm Kiefer sur la mémoire européenne et la présidence de la France du Conseil de l'Union européenne en 2022.
Anselm Kiefer et la représentation du désastre
Né en 1945, Anselm Kiefer appartient à la génération des artistes allemands dits de la seconde génération, dont Georg Bazelitz, Georg Richter et Sigmund Polke mais aussi le réalisateur Rainer Werner Fasbinder, dont la jeunesse s'est déroulée dans un pays totalement détruit et schizophrène entre occultation, justification et culpabilité du nazisme sur lequel s'est abattue une chape de plomb.
Confrontés à d'obsessionnelles problématiques mortifères, à la question de l'identité collective, la transmission de l’Histoire et le sentiment de culpabilité face à l'idéologie nazie qui a généré l'Holocauste, leur point commun réside en la tentative de construction d'une mémoire fictionnelle à l'opposé de celui de leurs aînés, comme Joseph Beuys né en 1921, dont la démarche artistique avait pour support le traumatisme né de son expérience personnelle de la guerre.
Ressortant à l'art post-war et à l'art historique résultant d'un devoir de mémoire, l'oeuvre d'Anselm Kiefer s'inscrit dans le registre de la représentation du désastre qui peut être envisagée sous différents angles.
Ainsi, de l'impossible résilience au regard du passé, de l'eschatologie comme préfiguration de l'apocalypse future, du renouveau destruction-reconstruction inspiré du cycle vital décomposition/biosynthèse et, selon l'analyse Chris Dercon, comme un avertissement pour le monde actuel.
Au fil de sa déambulation parmi les toiles, le visiteur pourra constater en premier lieu la monumentalité des toiles, sculptures et installations réunies dans la Nef transformée en immensité obscure.
Puis apprécier son procédé artistique qui repose sur sa technique éprouvée et récurrente de l'assemblage, un assemblage de matériaux, et une démarche créatrice constitué d'un empilement de références, tant littéraires et historiques que picturales, de la Renaissance italienne au Romantisme allemand, et d'un symbolisme syncrétique.
Un assemblage de matériaux dont l'Histoire qu'il précise utiliser au même titre qu’un paysage ou la couleur, et notamment de matières organiques ainsi que minérales pour élaborer, à la manière de Joseph Beuys dont il fut l'élève à l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf des toiles en trois dimensions qualifiés de "tableaux-sculptures" représentant, en l'espèce, des paysages dévastés, calcinés et pétrifiées pour matérialiser la violence et l’horreur qui irrigue les poèmes de Paul Celan qui ont inspiré l'artiste.
De plus, ils comportent des traces d’altération, éraflures et brûlures qui ne sont pas sans évoquer à la manière du Nouveau Réalisme, de l'Action Painting et l'Expressionisme abstrait.
Par ailleurs, chaque oeuvre est pétries de symboles avec la symbolique du matériau, telle la guerre avec l'objet militaire - l'avion et le blockhaus grandeur nature - pour les sculptures.
De même pour les motifs avec la symbolique du végétal comme la tige de pavot pour la mémoire et la fougère primitive et parfois ambivalente comme celle du tapis-linceuil de cendres, résidus de la destruction par le feu qui évoque également la pratique régénératrice du brûlis.
Avec un regard attentif sur chaque oeuvre, le visiteur pourra déceler la richesse du langage plastique d'Anselm Kiefer dont la présence du signe graphique considéré comme un élément de la composition, en l'espèce les poèmes de Paul Celan inscrits à la craie.
A voir et écouter en préambule à la visite :
l'exposition in situ en diaporama et en vidéo
le podcast de "Anselm Kiefer fait oeuvre de mémoire" avec Anselm Kiefer dans l'émission
La Grande Table culture par Olivia Gesbert en décembre 2021
l'exposition "Field of the Cloth of Gold - Camp du Drap d'or" à la Galerie Gagosian au Bourget en 2021 : en diaporama et en vidéo
les oeuvres du Panthéon
le diaporama de l'installation "Les Sept palais célestes" au Pirelli Hangar Bicocca à Milan
le diaporama de l'exposition "For Louis-Ferdinand Céline - Voyage au bout de la nuit" au Copenhagen Contemporary en 2017
la rétrospective au Centre Pompidou en 2015
la rétrospective à la Royal Academy of Arts de Londres en 2014
"Chute d'étoiles" pour le Monumenta 2007 |