Vous connaissez maintenant mon appétence pour les ouvrages historiques et ne serez donc pas surpris que j’ai pu m’aventurer dans cet ouvrage qui arrive brillement et habilement à entrelacer la grande et la petite histoire, le récit fleuve et l’anecdote.
Aux manettes de cette réussite, un auteur africain de talent, qui confirme que la littérature africaine a de belles lectures à nous proposer, et pas seulement depuis le dernier prix Goncourt (excellent ouvrage au passage), qui nous vient du Tchad. Nétonon Noël Ndjékéry est né à Moundou, il est l’auteur de nombreuses nouvelles mais aussi de quelques romans. Il a reçu le Grand prix littéraire National du Tchad en 2017.
Cet auteur tchadien déplore depuis très longtemps une zone grise dans l’histoire de l’Afrique. Peu de travaux de recherche, et encore moins d’œuvres littéraires abordent la difficile thématique de l’esclavage transsaharien. Il lui a fallu des années, en parallèle à ses autres travaux littéraires, pour aboutir à la rédaction de Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis, son dernier roman qui vient d’être publié chez hélas Helice editeur.
L’ouvrage nous fait suivre le parcours de Zeitoun, un jeune adolescent mis en servitude et suffisamment chanceux pour en réchapper. Au cours de son errance, il rencontre deux fugitifs comme lui : Tomasta et Yasmina. Lui est eunuque, elle est la favorite malheureuse d’un harem. Tous trois vont trouver refuge loin des empires, sur une île dérivant au milieu du lac Tchad. Une société nouvelle va y être fondée, une terre d’accueil pour toute personne menacée par les esclavagistes.
Sur cette île mouvante, une société utopique s’invente au quotidien, capable de poser les bases d’un projet émancipateur pour une Afrique soucieuse de se raconter elle-même, ainsi qu’à reconnaître ses diverses identités, croyances et son art du vivre ensemble. Toutefois, le prix de cette utopie est celui d’un isolement et d’une dangereuse ignorance des affres de l’histoire et du déploiement des Etat-nations africains actuels.
L’ambition de l’auteur est parfaitement réussie, celle de parler de l’esclavage transsaharien, avec le poids que lui apporte la littérature. On apprend donc beaucoup de choses avec cet ouvrage. Des chasses aux esclaves pratiquées par des sultanats sahéliens jusqu’à l’émergence de Boko Haram au Nigéria, de la colonisation française à l’enrôlement des tirailleurs jusqu’aux indépendances.
L’auteur nous confronte alors aux horreurs des traites négrières orientales dont les survivances crèvent encore régulièrement l’actualité. Il dresse ainsi le tableau de près de deux siècles de privation de liberté et d’exploitation humaine dans la région du Tchad.
Salutaire et bouleversant, ce magnifique ouvrage est pour moi une lecture essentielle qui nous permet d’ouvrir les yeux (et non plus de les fermer) sur des moments d’histoire qui ne doivent plus être ignorés. |