Réalisé par Manuel Schapira. France. Drame. 1h32 (Sortie 23 mars 2022). Avec Gilles-Alane Ngalamou Hippocrate, Céline Sallette, Dali Bensallah et Fazal Bacar-Moilim.
En janvier 2021, Alexandre Zeff proposait sur la scène du Théâtre de la Cité internationale une version très noire du roman de Natacha Appanah, "Tropique de la violence". C'est au tour du cinéma de s'emparer de cette œuvre, l'une des premières à se passer à Mayotte, le département français le plus éloigné de la métropole, le moins connu et le plus pauvre.
Déjà Alexandre Zeff se servait d'images réelles pour faire découvrir à ses spectateurs le plus grand bidonville français, Kawemi, surnommé là-bas Gaza.
Si la référence avec l'entité palestinienne frappera les esprits, on aurait tout aussi pu appeler Kawemi du nom d'une favela brésilienne.
Dans "Tropique de la violence" de Manuel Schapira, le véritable personnage central est "Gaza". Les plans quasi documentaires où l'on découvrira ce lieu où vivent des milliers de personnes de nationalité française n'ont pas souvent été tournés, et, encore une fois, ils laisseront sans voix ceux qui continuent d'affirmer que la colonisation d'hier et la post-colonisation d'aujourd'hui n'ont eu que des bienfaits.
En suivant les pas de Moïse, jeune comorien recueilli par une infirmière (Céline Sallette), qui, à l'adolescence se retrouve malgré lui projeté à Gaza, le spectateur va découvrir une réalité choquante : ici règne la misère et la drogue. Et par conséquent, une extrême violence dont le film va se faire l'écho et décrire avec une très grande efficacité.
On découvrira aussi l'autre face de la médaille : une île très policée, mais à destination des migrants qui, comme les parents de Moïse partaient des autres îles des Comores pour rejoindre le "paradis" qu'est à leurs yeux Mayotte. On devine qu'une grande partie d'entre eux finiront eux aussi par la case Gaza.
On apprendra également que pour pallier les carences de l'état français, de nombreuses organisations humanitaires - comme dans tout pays "en voie de développement" - sont présentes. Dans le film, le personnage interprété par Dali Bensallah incarne un membre d'une ONG assez naïf, voulant bien faire mais dont l'action frise le ridicule.
"Tropique de la violence" de Manuel Schapira n'est pas un film politique au sens premier du terme. Il est un habile mélange des genres et n'hésite pas à flirter avec le fantastique dans un pays où le chamanisme est partout présent. Ainsi, Moïse, doté du "mauvais œil" a-t-il des pouvoirs "spéciaux" qui ne lui seront pas inutiles...
Ecrite par Manuel Schapira en collaboration avec Delphine de Vigan, cette adaptation est moins sombre que celle d'Alexandre Zeff, mais le cinéaste privilégie les scènes nocturnes qui contribuent à faire naître un climat très angoissant. De jour, les paysages de Mayotte, bidonvilles exceptés, auraient plutôt un petit côté "carte postale". Ce petit caillou, reste de l'Empire colonial français, multiplie donc les paradoxes et devrait maintenant inspirer d'autres romanciers ou réalisateurs.
La réussite du film de Manuel Schapira repose également sur sa distribution : Gilles-Alane Ngalamou Hippocrate convainc. D'agneau mignon, le voilà en quelques plans devenu bête féroce. Ses compagnons d'infortune, eux aussi, semblent de vrais possédés sous l'effet des drogues qui les conditionnent. Tout cela, additionné à la photo de Benoît Soler, concourt à un climat pesant très crédible.
Manuel Schapira, auteur d'une douzaine de courts métrages depuis une vingtaine d'années, a mis beaucoup de temps pour signer "Tropique de la violence" son premier long métrage.
L'avantage, c'est qu'il filme avec une grande efficacité un film sans gras, tout à son sujet et jamais sans chercher à épater son spectateur. On lui souhaite de continuer dans cette voie avec des scénarios aussi prenants et d'une égale rigueur. |