Réalisé par Manuel Nieto Zas. Uruguay/Argentine/BrésilFrance. Drame. 1h47 (Sortie 6 avril 2022). Avec Nahuel Perez Biscayart, Justina Bustos, Cristian Borges, Fatima Quintanilla et Jean Pierre Noher.
Ce n'est pas souvent que le cinéma uruguayen est à l'affiche. Avec "Employé-Patron" de Manuel Nieto Zas, on sera plongé au cœur de la ruralité actuelle d'un pays qui n'a finalement pas grand-chose à voir avec son grand voisin Argentin.
Avec une histoire très simple, on va découvrir l'essence d'un pays où quelques-uns d'origine européenne, plongés à fond dans la mondialisation, dominent une grande masse souvent analphabète et, comme ici, d'origine indigène.
Mais, contrairement à la plupart des pays modernes, où les riches et les pauvres ne se côtoient plus dans le travail, où seuls le personnel de maison a accès aux "patrons", en Uruguay, il y a toujours un contact direct entre les grands propriétaires et leurs employés. A l'heure où les cultures vivrières ont été remplacées par des étendues immenses de colza et de maïs destinées au marché international, ce contact tient à la passion commune des uns et des autres pour le cheval.
Sur le papier, le film semble théorique, voire didactique, avec un titre très explicite qui martèle que le couple "paysans-propriétaires" a fait place au binôme "employés-patrons". Mais dans son déroulement, le film évite tout manichéisme.
Le drame terrible, qui inverse un instant en sa faveur le rapport de pouvoir entre le jeune employé et son patron d'à peu près du même âge, n'est pas sans équivoque. Fort de son malheur, la victime peut faire accepter sa solution : résoudre le différend entre les deux parties par l'intermédiaire d'une course hippique.
Le jeune péon chevauchera un étalon de grande valeur, destiné à rejoindre les émirats arabes, lors d'une épreuve locale. La victoire étant fort probable, et devant logiquement en entraîner d'autres, ce serait pour lui et sa famille un moyen de changer de condition. Cependant, en réclamant un tel accommodement, ne permet-il pas à son jeune patron de régler à bon compte une dette qui paraît pourtant moralement impossible à clôturer aussi facilement ?
Digne d'un tragédie antique, le scénario, d'une grande intelligence, aboutira à une autre résolution. Au drame initial s'ajoutera alors une leçon amère de plus pour des pauvres qui ont eu l'audace de croire qu'ils pouvaient obtenir quelque chose de symboliquement plus fort qu'une compensation financière...
Pour interpréter les deux jeunes gens qui s'affrontent avec la force de leurs regards plutôt qu'avec des mots, Manuel Nieto Zas a choisi, d'un côté, l'un des acteurs argentins les plus brillants de sa génération, par ailleurs césarisé pour "120 battements de cœur", Nahuel Perez Biscayart, et, de l'autre, un non-professionnel remarquable, Cristian Borges, lui-même ouvrier agricole et dresseur de chevaux.
On pourra regarder "Employé-Patron" de Manuel Nieto Zas sans y voir forcément un drame politique. L'ambiance y est tendue comme dans un thriller haletant et sa résolution, on le répète, est d'une implacable rigueur. On découvrira toute une culture qu'on pourrait appeler improprement "gaucha" et qui imprègne la campagne uruguayenne.
Sans aucun folklore, "Employé-patron" rend vivant un monde qu'on ignorait et dont on saisit toute la violence. En devenant simple employé, le paysan sans terre doit encore plus se résigner à subir l'oppression de son patron. Un film qui réveille l'éternelle lutte des classes, annonce avec justesse qu'elle est loin d'être moribonde et conseille aux pauvres de se révolter plutôt qu'essayer de négocier avec leurs maîtres... |