Avec l'exposition "Le Théâtre des émotions", le Musée Marmottan Monet présente une exposition ambitieuse sur la traduction picturale de l'émotion.
Et ce, triplement car tant par son contenu, dès lors qu'elle vise l'ensemble des états affectifs, que son ampleur temporelle, du 14ème au 21ème siècle, et, surtout, son double propos muséal.
En effet, l'un s'avère didactique pour retracer l'évolution de leur représentation picturale, l'autre démonstratif, sous l'angle d'une histoire de l'histoire de la psychologie, les commissaires historiens d'art Georges Vigarello et Dominique Lobstein considérant celle-ci comme révélatrice de la constitution évolutive du psychisme occidental.
Ils signalent également dans leur note d'intention la résonance contemporaine de leur projet en un temps où s'accroît l'impact des affects et du ressenti, et à cette fin, ont sélectionné 80 oeuvres pour étayer leur lecture de la représentation de l'émotion qui se déploie en séquences chronologiques scénographiées en couleur distincte par Anne Gratadour.
Une approche panoramique de l'émotion
Cette exposition s'inscrit dans le paradigme classique du rapport des arts et des émotions - avec cependant une certaine confusion sémantique entre émotion, sentiment et passion qui recouvrent des réalités psychiques différentes - qui s'avèrent t prégnantes dans la théorie humaniste de la peinture telle que conçue entre le 16ème siècle et la première moitié du 19ème siècle.
Et la peinture doit émouvoir par la représentation de scènes pathétiques ou celle de personnages en proie à des émotions intenses mais également en sollicitant voire instrumentalisant la participation émotionnelle du regardeur.
Ensuite intervient la prévalence de l'émotion esthétique moderniste qui, pour transcrire ou susciter les émotions, abandonne la figuration au profit de l'abstraction et de nouvelles valeurs plastiques et souvent sous obédience de l'émotion subjective du peintre.
En l'espèce, les commissaires ont circonscrit leur propos à l'art figuratif avec une catégorisation générique de la production de chaque siècle étayée par un choix correlé d'oeuvres.
Le parcours est introduit par la mise en regard de deux toiles qui circonscrivent le périmètre de leur réflexion,"Sainte Madeleine en pleurs" du 16ème siècle et "La Suppliante" de Picasso qui suscite une interrogation liminaire quant la différence d'émotion et de psychisme entre ces deux oeuvres : une réalité ou simplement d'une différence stylistique de sa représentation celle-ci appelant également une réflexion autour des notions de réalité/représentation/fiction.
Le parcours se développe de la symbolisation de l'émotion au Moyen-Age et à la Renaissance à sa codification au 18ème siècle et de son dévoilement au siècle suivant à son détournement de manière néanmoins frontale avec l'art post-war ("Monument" Christian Boltanski - "Grande tête" Alfredo Giacometti - "Nous ne sommes pas les derniers" Zoran Music).
Et il s'opère en privilégiant l'émotion de l'homme-peintre face à un événement tragique mais également pour provoquer celle du regardeur qui coexiste avec celle qui la traduirait de manière implicite tels Alexej van Jawlensky ("Tête de femme") et Hans Richter ("Portrait visionnaire").
Une approche très différente de celle compassionnelle du début du 20ème siècle avec celle des veuves affligées de la Première guerre mondiale ( "La Pensée aux absents" de André Devambez).
Voilà de quoi exercer la sagacité du visiteur face à des toiles qui représentent une grande palette d'émotions de surcroît émanant de différentes sources dont l'émotion réelle du modèle personne physique, ainsi, pour la section dédiée au Moyen-Age et à la Renaissance, le portrait de commande, illustré par les portraits de famille de Bartolomaüs Bruyn l'aîné qui empruntent aux codes du portrait dit officiel.
Dans cette salle en ligne de fuite, les scènes de genre avec des personnages populaires expressifs ("L’Entremetteuse" Angelo Caroselli - "Rixe de musiciens" Atelier Georges de La Tour) et des portraits à la discrète et lisse émotion ("Marie-Madeleine repentante" Johannes Moreelse - "La Joconde" Ecole italienne - "Allégorie de la vanitas et de la pénitence" Guido Cagnacci).
Parfois il s'agit de la représentation d'un état davantage que d'une émotion avec le thème de la folie mettant en parallèle celle imaginée d'une héroïne de la littérature ("La Folie de la fiancée de Lammermoor" d'Emile Signol) ou celle d'un personnage théâtral simulée par une tragédienne ("Rachel dans Lady Macbeth" de Charles Louis Müller) et celle considérée comme réaliste ("Faim, folie et crime" d'Antoine Joseph Wiertz).
Le réalisme qui vire au naturalisme avec des modèles populaires dépeints sans aménité ("Les Incompris" André-Victor Devambez - "Le Cri" d'Auguste Rodin - "La Morphinomane" Emilie Charmy).
Avec le mouvement romantique, la représentation de l'émotion navigue entre la mièvrerie et l'exaltation ("Jeune fille pleurant sa colombe morte" Jeanne-Elisabeth Chaudet - "L'Enfant à la colombe" Jean-Baptiste Greuze -
"Une jeune femme s’étant avancée dans la campagne se trouve surprise par l’orage" Chevalier Féréol de Bonnemaison -"La Folie de la fiancée de Lammermoor" Emile Signol).
La monstration est émaillée de chefs d'oeuvre dont, et entre autres,
"La Lettre de Wagram"
de
Claude-Marie Dubufe retenue pour l'affiche et "Le Verrou" de présenté avec "La Balançoire" aux côtés de la "Tête de caractère : le bâilleur" de Franz Xaver Messerschmidt dont le traitement caricatural annonce
les petits maîtres du portrait dit de caractère.
Ainsi avec Joseph Ducreux puis
Louis-Léopold Boilly
avec ses "Trente-cinq têtes d’expression"
auquel le Musée Cognacq-Jay consacre une exposition monographique concomitante ("Boilly - Chroniques parisiennes")
Et bien d'autres séquences rythment cette passionnante exposition
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