Voilà un ouvrage qui percute de plein fouet l’activité internationale actuelle. A l’heure où Vladimir Poutine a fit le choix d’envahir l’Ukraine et de menacer l’Europe d’une guerre, l’ouvrage dirigé par Isabelle Facon s’avère décisif pour illustrer le basculement de l’ordre international au sein duquel la rivalité avec l’occident est le prétexte à des alliances hier encore inimaginables.

Isabelle Facon est directrice adjointe de la fondation pour la recherche stratégique. Spécialiste des politiques étrangères et de défenses russes, elle dirige le séminaire "Géopolitique de l’Eurasie" à l’école polytechnique. Son dernier ouvrage, la nouvelle armée russe a paru en 2021.

Ici, elle s’est entourée de nombreux auteurs pour nous proposer un ouvrage sur les relations entre la Turquie et la Russie.

Alors que tout oppose la Turquie et la Russie, on constate à la lecture de l’ouvrage que leur union ne cesse de se renforcer. C’est le constat des chercheurs rassemblés dans cet excellent ouvrage d’à peine 200 pages.

En dépit de conflits multiséculaires, Istanbul et Moscou partagent des ambitions. S’il y a des désaccords entre Poutine et Erdogan, l’intérêt commun en termes d’influence et de puissance prime. Du nucléaire civil à l’armement, en passant par la coopération diplomatique et militaire, toutes les occasions sont bonnes pour accroître l’image de solidité de ce nouveau front résolu à combattre "l’ingérence" de l’occident. Cependant, la guerre en Ukraine, en révélant l’asymétrie des enjeux qui sous-tendent ce partenariat pour les deux parties, en remettra-t-elle en cause la dynamique ?

L’ouvrage revient sur l’historique des relations complexes entre les Russes et les Turcs, marqués par des rapprochements récents étonnants comme celui intervenu au moment de la guerre du Haut-Karabagh qui s’est fait au détriment des Arméniens, les alliés stratégiques de Moscou.

Un chapitre intéressant nous montre l’évolution des relations des deux pays pendant et après la guerre froide. L’ancrage de la Turquie dans le camp occidental est un ancrage de la guerre froide. L’arrivée d’Erdogan au pouvoir modifie la donne. Ses désillusions dans sa relation avec l’UE ont incité la Turquie à chercher des alternatives à l’alliance occidentale. Son processus d’adoption à l’UE se grippe, Ankara s’accommode de moins en moins de la tutelle américaine, peu populaire en Turquie, ce qui fait que la Turquie veut désormais parler d’égal à égal avec les grands et la Russie en fait partie.

L’ouvrage nous montre ensuite que la crise syrienne est venue porter un coup au partenariat russo-turc qui connaissait une dynamique positive depuis le début des années 2010. Il s’intéresse aussi à la mer noire, dans laquelle se trouvent des gisements de gaz importants. Il nous montre aussi comment le Caucase du Sud est redevenu un espace ouvert aux enjeux géopolitiques mondiaux. Pour des raisons historiques et stratégiques, politiques et culturelles, la Russie et la Turquie défendent des lectures totalement divergentes de la question arménienne.

Pour l’Asie centrale, les relations sont bien différentes, les influences se croisent, la Turquie est un acteur majeur mais non concurrent de la Russie dans cette région. Pour ce qui concerne l’énergie, l’ouvrage nous montre que la relation entre les deux est marquée deux grands enjeux : la fourniture d’énergie par la Russie à la Turquie et l’utilisation du territoire turc comme passerelle vers l’Europe pour les hydrocarbures.

C’est vraiment un ouvrage complet que nous proposent au final les éditions Passés Composés qui évoque une relation russo-turque aléatoire, volatile et souvent tendue.