Monologue dramatique d'après le roman éponyme de Marguerite Duras, adaptation, mise en scène et interprétation par Anne Consigny.
C'est en 1950 que Marguerite Duras publie chez Gallimard son roman, "Un barrage contre le Pacifique". Elle a trente-six ans et n'a pas encore affirmé pleinement son style inimitable dans cet ouvrage d'écriture apparemment classique. Ici et là, pointe déjà "Marguerite" dans ce grand récit de son enfance indochinoise qui va contribuer à révéler l'écrivaine au grand public avec aussi "Les petits chevaux de Tarquinia, en 1953. Dans son adaptation, Anne Consigny rajeunit considérablement l'œuvre qui a longtemps pâti de sa version cinématographique italo-américaine de 1958, dans laquelle René Clément livre un produit d'époque, un film plutôt fidèle au roman mais qui l'emporte du côté des fictions "hollywoodiennes". Evidemment, ce n'est pas là l'idée d'Anne Consigny rayonnante dans sa robe à fleur et prête à se coiffer de son grand chapeau indochinois. Le premier mot qui vient à l'esprit devant cette lecture est "fraîcheur". On est loin dans la manière de dire de l'actrice d'un drame datant de 70 ans. L'actrice s'approprie joyeusement le texte de Duras et montre, sans difficulté, qu'il y a de l'humour dedans. Les relations de la mère et de ses deux enfants, Suzanne et Joseph, sont complètement liées à leur situation de petits blancs perdus dans l'Indochine coloniale finissante. Elles sont à la fois difficiles et paradoxalement empreintes d'une certaine gaieté, celle d'êtres qui s'aiment mais aussi au bord de sombrer dans la folie. Bondissante, virevoltante sur scène, Anne Consigny montre les hauts et les bas, les changements permanents de ton de ce trio qui cherche à survivre dans cette plantation maudite. Récemment, "Azuro" (2021), film de Matthieu Rozé, réveillait lui aussi "Les Petits chevaux de Tarquinia" et montrait également, à l'instar d'Anne Consigny, toute la modernité de la Duras des premières années, l'éclat de son écriture et son bonheur de raconter. Dans "Un Barrage contre le Pacifique" ajoute à ce bonheur celui de jouer Duras. Déjà, en 2014, aux côtés d'Emmanuelle Riva et sous la direction de Didier Bezace, on sentait tout le plaisir qu'elle prenait à participer à "Savannah Bay". Ici, il semble présent à chaque instant, dans chaque inflexion de sa voix, dans chaque mimique qui accompagne son interprétation. Anne Consigny réussit à construire une passerelle entre la Duras d'avant Duras et celle à jamais installée dans son art. Ce mélange alchimique d'intelligence et de sensibilité qui se dessine annonce pour Anne Consigny qu'elle a trouvé son texte de référence, celui où tout son art va s'épanouir pour que jaillisse une évidence absolue : elle appartient désormais à ces actrices d'exception que Duras permet d'adouber. On pense bien sûr à Madeleine Renaud, Bulle Ogier ou Jeanne Moreau. |