Farce tragique de Copi, mise en scène de Thibaud Croisy, avec Helena de Laurens, Emmanuelle Lafon, Frédéric Leidgens, Arnaud Jolibois Bichon et Jacques Pieiller.
C'est à la Cité Universitaire que "L'homosexuel ou la difficulté de s'exprimer" a été créé en 1971. 50 ans après, le texte de Copi garde toujours sa puissance de subversion, sa folie poétique au service d'un grotesque assumé et amusé.
Jamais, pendant ce demi-siècle, alors que la condition homosexuelle évoluait vers la légalité puis peu ou prou vers l'égalité avec les autres sexualités, la pièce de Copi n'a subi d'éclipses et a été constamment montée.
Après Jorge Lavelli, c'est Philippe Adrien et Julie Deliquet qui, entre autres, se sont risqués sur ce chemin de traverse, baroque et propice au rire, un rire grinçant devant ce déballage de mauvais sentiments et d'inconvenances. Comme toujours, Copi se régale devant les situations absurdes qu'il invente pour des personnages de bédés, aussi cocasses que tragiques et tous porteurs de mots vengeurs.
Dans une succession de saynètes, au cœur d'une Sibérie fantasmatique mais bien présente grâce aux chants russes qui s'élèvent parfois, et à l'habile scénographie de Salladhyn Khatir qui a couvert tout l'arrière de la scène d'un tunnel en plastique recouvert de traces blanches et que parcourent hiératiquement les personnages avant leur entrée en scène.
Ils sont trois à participer à ce grand-guignol sanguinolent orchestré brillamment par Thibaud Croisy. Madre (Frédéric Leidgens), d'abord. Joué par un homme au crâne rasé, dans une tenue plus féminine que masculine, avec des bas.
Tout concourt à faire de lui une espèce de grand prêtre égyptien, peut-être eunuque prêt à s'embrouiller pour avoir l'ascendant sur Irina (Helena de Laurens) avec Garbo (Emmanuelle Lafon), la prof de piano castratrice habillée en costume cravate.
Pour compléter la galerie d'affreux, on verra épisodiquement apparaître un savoureux militaire directement sorti du "Docteur Jivago" ou de "Tintin au pays des Soviets", Garbenko (Arnaud Jolibois Bichon) et un Dracula élégant et malicieux appelé ironiquement le Maréchal Pouchkine (Jacques Pieiller).
Entre Madre et Garbo, Irina, le plus souvent sur l'unique chaise du plateau, par ailleurs presque vide. Grande fille trop féminine pour être vraiment une fille, elle est le personnage organique du spectacle : elle avorte, elle défèque, elle se mutile, elle est mutilée... N'était-elle pas l'homosexuel du titre, celui qui ne parle pas facilement de son état et qui va de l'un à l'autre de ses bourreaux d'opérette ?
On est devant une vraie violence latente et si l'on se réfère à un invisible Docteur Feydeau pour panser les plaies d'Irina, cela suggère paradoxalement qu'on est aussi dans une comédie qu'on pourrait qualifier de sadique.
Copi, qui a travaillé beaucoup avec Alfredo Arias et Jérôme Savary, aimait beaucoup l'esprit "revue". En un peu plus d'une heure, on aura le temps de voir presque toutes les combinaisons possibles sexuelles ou pas entre trois personnages haut-en-couleur.
Le spectateur prendra grand plaisir et sera toujours surpris par l'imagination de l'auteur et son goût pour la provocation sans qu'elle soit systématique.
En fin de compte, "L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer" est une pièce qui n'a pas besoin d'être démonstrative pour parler de l'homosexualité. Elle se comprend sans avoir à en dire trop et touchera un large public sans doute plus aujourd'hui qu'il y a cinquante ans. |