Spectacle conçu et interprété par Marie Rémond et Caroline Arrouas.
En 2021, la sortie du documentaire de Callisto Mc Nutty, "Delphine et Carole insoumuses" a relancé l'intérêt pour la vidéaste Carole Roussopoulos, morte en 2009, qui avait partagé les combats féministes de Delphine Seyrig, et avait initié la grande actrice aux techniques vidéos durant les années 1970.
Après la mort de celle-ci en 1990, Carole n'abandonnera pas le combat, toujours caméra au poing, et surtout en animant le centre de documentation Simone de Beauvoir qu'elles avaient créé ensembles pour rassembler et faire circuler tous les films militants de tous les temps tournés par les féministes de tous les pays.
En octobre dernier, on a pu avoir un aperçu de l'aventure de Carole et de Delphine grâce à "Rembobiner", spectacle du Collectif Marthe."Delphine et Carole", pièce écrite et interprétée par Marie Rémond et Caroline Arrouas, n'a pas tout à fait choisi le même angle d'attaque : il s'agit ici de mettre en avant les deux personnages, en privilégiant plutôt celui de Delphine (Marie Rémond) alors que "Rembobiner" s'intéressait davantage à celui de Carole, jouée ici par Caroline Arrouas, et s'accompagnait de beaucoup plus d'extraits de films ou de vidéos qu'elle avait signés.
Il faut dire que sur le plateau très encombré de "Delphine et Carole", il n'y a paradoxalement pas d'écran vidéo. On entend donc des extraits de leurs films par la voie de magnétophones à bandes ou à cassettes, et l'on peut apercevoir sortant d'une petite télé des images provenant d'un numéro spécial d'Apostrophes où Bernard Pivot n'apporte pas vraiment sa contribution à la cause des femmes...
En revanche, perruque frisée sur la tête, Marie Rémond rejouera un numéro de 7/7 avec Anne Sinclair, puis revêtue d'un tablier conforme à celui du film, rendra hommage au plus grand rôle de Delphine Seyrig, celui de Jeanne Dielman où elle épluche des pommes de terre plutôt que de jouer les grandes bourgeoises éthérées pour Truffaut ou Resnais.
Se concentrant moins sur le militantisme de Carole Roussopoulos, très lié aux utopies révolutionnaires des années 1970, Marie Rémond et Caroline Arrouas s'amusent à stigmatiser le règne de la phallocratie en 2023 en dénonçant les clichés machistes dans les livres scolaires, le pourcentage dérisoire de rues aux patronymes féminins, etc. Elles joueront même un "sketch" où Marie, venue présenter un projet de féministe, devra subir un producteur caricatural et pourtant dont le discours semble tout à fait plausible aujourd'hui encore.
En transformant Delphine Seyrig en personnage central, Marie Rémond et Caroline Arrouas ont pris un gros risque, car, elles le savent bien, une part non négligeable du public, parmi les jeunes et aussi chez les vieux, ne connaît pas (ou plus) cette "Grande Dame" et aura bien du mal à comprendre la situation historique dans laquelle les deux femmes évoluent.
Sans doute, elles auraient pu être plus didactiques. Ce n'est pas d'une gravité rédhibitoire mais c'est dommage qu'elles présentent leurs deux héroïnes comme deux agitatrices un peu rétro, alors qu'elles sont toujours au cœur des choses. Quelle femme, aujourd'hui, sacrifierait son statut de star pour jouer une ménagère belge ?
Et avec quelle lucidité puisque, il y a quelques jours, un jury anglais a proclamé que le plus grand film du siècle passé était "Jeanne Dielman, 23 rue du Commerce, 1080 Bruxelles" de Chantal Akerman.
Delphine Seyrig était une femme de conviction. Inoubliable dans son métier, et désormais, grâce aux recherches récentes sur elle, rétablie à sa juste place dans l'histoire du féminisme aux côtés de son amie Carole Roussopoulos. Bravo à "Delphine et Carole" d'y avoir participé, avec la même détermination, la même impertinence. |