Réalisé par David Zonana. Drame. 1 heure et 28 minutes. Sortie le 22 mai 2024. Avec Santiago Sandoval Carbajal, Fernando Cuautle, Monica Del Carmen, Esteban Calcedo.
Après "Mano de Obra" (2020), qui était une critique féroce du monde du travail dérégulé au Mexique, David Zonana poursuit avec "Heroico" dans la même veine, en franchit un cap supplémentaire, puisqu'il s'attaque à la formation des troupes mexicaines qui prend sa part dans la violence endémique qui gangrène le pays.
Tout le début du film pourrait être une version mexicaine du documentaire de Frederick Wiseman, "Basic Training" (1971) où l'on suivait les classes d'appelés américains qui allaient partir pour le Vietnam, film plagié par Stanley Kubrick dans la première partie de "Full Metal Jacket"(1987).
Evidemment les techniques pour modeler les esprits des jeunes conscrits se sont améliorées. Si la brutalité et l'arbitraire règnent avec une intensité au moins aussi forte, les bavures et les exactions sont dissimulées derrière tout le rituel militaire. Les jeunes gens sont formellement traités en citoyens mais derrière ce vernis démocratique, l'armée mexicaine forme dès les classes ceux qui participeront aux opérations spéciales, qui pourront tuer des civils sans se poser de questions. David Zonana montre comment un jeune homme découvre la violence de l'institution militaire. Luis est d'origine amérindienne. Il est timide mais aussi bon tireur et attire l'attention du sous-officier chargé de le former, le sergent Sierra.
Pas besoin de trop creuser pour voir dans leur relation quelque chose qui a à voir avec l'homosexualité. Autant disert que l'objet sur lequel il a jeté son dévolu est taiseux, Sierra appelle Luis "potro" (poulain).
D'abord par stratégie, puis par une fascination de plus en plus mortifère, Luis rentre dans le jeu de Sierra.
David Zonana parvient à mener de front la description de ce rapport délétère entre les deux hommes qui s'agrège à celle qu'il fait de l'Académie militaire où les recrues apprennent à devenir ceux qui auront le droit d'utiliser leurs instincts violents contre leurs concitoyens.
Pour ajouter une dimension fantastique à son film, Zonana a choisi de tourner dans un lieu étrange, presque surréaliste, évoquant les temples aztèques. Au détour d'un tumulus en pierre, on trouve un bureau où une salle de classe.
L'Académie militaire est comme encadrée par ces Dieux qu'on sait avides de sacrifices humains. Les perspectives extérieures avec des escaliers de pierre qui prétendent monter jusqu'aux nuages inscrivent l'institution dans un passé immémorial, la légitimant et avertissant les réfractaires qu'ils font face à une adversaire capable de déployer contre eux des pouvoirs mystérieux et agir avec force cruauté.
"Heroico" est une œuvre pensée qui atteint ses buts et l'on conçoit que ce climat ait frappé au premier chef les Mexicains qui y ont vu une manière de styliser la violence marque de fabrique de leur société.
Les deux comédiens sont excellents et forment un duo ambigu. Le sergent est-il amoureux de son subordonné au point de le
persécuter ? Celui-ci lui répond-il par des pulsions meurtrières et n'est-il pas condamné à une folie qui en fera la machine à tuer idéale ? Celle que visait ce sergent si affectueux avec son "potro" ?
Comme on dit, l'armée n'en sort pas indemne et le titre du film s'avère au final d'une ironie grinçante.