Spectacle autour d'un texte de James Joyce traduit et adapté par Hélène Arié, mis en scène par Hélène Arié et Antony Cochin avec Hélène Arié.
Que ceux qui ont des préjugés contre le grand roman de James Joyce, "Ulysse", prétendument illisible et ennuyeux, se rassurent : la version de "Molly" que présente Hélène Arié, sera, au contraire, une excellente introduction à une œuvre majeure.
Personne n'ignore que l'écrivain irlandais à lunettes rondes a transféré l'Odyssée de la Méditerranée en Irlande, précisément à Dublin, où pendant une journée de 1904, le publiciste Leopold Bloom, le plus souvent accompagné du jeune Stephen Dedalus, va revivre métaphoriquement les errances du héros d'Homère, partant de Troie pour rejoindre sa patrie, l'île d'Ithaque.
Si une journée à Dublin vaut une odyssée grecque, elle doit forcément s'achever par le retour du héros auprès de son aimée. La Pénélope de Leopold Bloom s'appelle Molly. Elle est son épouse et quand commence son monologue, qui est l'ultime partie d'"Ulysse", elle vient de se réveiller, a constaté que son époux était enfin allongé à ses côtés et qu'il dormait profondément.
Elle, au contraire, est insomniaque et va parler. Un long monologue qui dans le roman occupe plusieurs dizaines de pages écrites sans ponctuation et qui s'achève par un "Oui" final.
Hélène Arié a traduit, adapté et mis en scène avec Antony Cochin le texte de Joyce. Elle l'a intitulé "Molly ou l'Odyssée d'une femme". Elle l'a épuré de toute référence au roman de Joyce, notamment en ce qui concerne l'amitié quasi paternelle de Bloom pour Dedalus.
C'est pour cela qu'il n'y a rien à craindre : tout ici est compréhensible même si on n'est pas un fan de Joyce et que l'on ignore tout du "Bloomsday". Tout est donc contraire à l'hermétisme supposé de Joyce. Par sa traduction, magnifiée par son interprétation, Hélène Arié a rendu limpide ce qui est considéré par certains comme un des textes fondant la modernité littéraire. Joyce est aux anglo-saxons ce que Proust est aux francophones : celui qui les fait passer dans un monde où les mots s'affranchissent de la rigidité des phrases.
Hélène Arié vit avec délectation ce passage et quand on a vu d'autres actrices s'attaquer au monologue de Molly - comme Anouk Grinberg, par exemple - on ne souvenait qu'elle racontait des choses aussi drôles et qu'on pouvait dégager autant d'émotion de ce passage de Joyce, réputé pour sa virtuosité plus que par son contenu.
Dans la version présentée par Hélène Arié, il y a l'appétit d'une femme pour le sexe et son amour malgré tout ce qui s'est passé entre eux pour un mari hors du commun.
Debout, ou parfois assise dans un fauteuil au dossier rouge théâtre, elle captive l'attention de tous et de toutes, donne vraiment envie de se plonger dans le roman de Joyce et pas seulement dans le monologue de Molly. Jamais, elle ne pers son auditeur. Au contraire, celui-ci comprend, peu à peu, qu'il a la chance, rare, de voir une grande actrice aux prises avec un grand texte, qu'elle sait interpréter jusqu'à l'évidence.
Il faudrait vraiment n'avoir aucune sensibilité pour ne pas saisir que cette heure est un moment exceptionnel de théâtre, quelque chose qui restera inoubliable pour les privilégiés qui l'auront vécu.
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