Réalisé par Karim Bensalah. , Drame. 1 heure et 36 minutes. Sortie le 19 juin 2024. Avec Hamza Meziani, Abbess Zahmani, Kader Affak, Karina Testa, Souhad Arsane.

Voilà un film qui, on le parie, restera parmi ceux dont on se souviendra en fin d'année comme ayant marqué l'année 2024.

Si on le résume en quelques mots, pas sûr qu'il attire l'attention d'un spectateur qui se souhaite se distraire. Et pourtant, cette histoire racontant comment un jeune homme à la recherche de lui-même trouve sa voie dans les pompes funèbres musulmans pourrait émouvoir bien au-delà des personnes concernées au premier chef.

Sofiane est un étudiant professionnel. Il accumule les premières années universitaires. Mais l'administration lui signifie que la fête est finie... Et c'est grave car Sofiane n'est pas Français et devra quitter à brève échéance le territoire national pour regagner l'Algérie. Pays qu'il connaît à peine car, depuis son enfance, il suit avec toute la famille son père, diplomate algérien. En fait, un tout petit diplomate, un fonctionnaire qui a servi son pays à travers le monde. Ce qui explique qu'il n'ait pas les reins assez solides pour "pistonner" son fils et obtenir facilement une autorisation de résider en France.

Le piège se referme sur l'étudiant rêveur et flemmard. D'autant que le seul boulot qu'on lui propose va enfin le confronter au réel : il va devoir laver les morts, les préparer pour leur enterrement.

Vaguement musulman, quand commence "Six pieds sur terre", il en sait autant que le spectateur moyen sur la manière dont sont préparés et enterrés les morts dans sa religion.

On va avec lui découvrir les rites de la mort pour les fidèles de l'Islam.

La caméra de Karim Bensalah, avec une grande délicatesse et sans aucun voyeurisme, explique, étape après étape, comment les musulmans vont rejoindre leur dernière demeure. Pour l'initier alors qu'il est évidemment au départ plus que récalcitrant, Sofiane est associé à El Haj, un véritable artiste de la préparation des morts et de la cérémonie qui suit le lavage des corps, un vieil homme taciturne qui saura lui apprendre plus que les rudiments de son métier.

Entre ses interrogations existentielles, ses problèmes avec sa famille, ce travail pour lequel il ne se sent pas fait mais qui l'attire et lui permet d'enfin communiquer avec ses coreligionnaires, Sofiane vit un intense remue-ménage intérieur.

Sans concessions sur bien des sujets (voir l'épisode de Sofiane avec sa "copine" suédoise), "Six pieds sur terre" trouve toujours le bon traitement pour éviter les confusions et les malentendus qui mènent au racisme.

Si le film est vu par des réalisateurs en mal d'acteurs, Hamza Meziani crève l'écran et on n'hésitera pas à écrire qu'il peut facilement échapper à un "typage communautaire", à l'image d'un Félix Moati, par exemple. Presque constamment à l'écran, il ne rate aucune des saynètes qui composent le film. Karim Bensalah sait éviter tout manichéisme et ose quelques scènes qui indisposeront peut-être les "puristes" de l'Islam. Car Sofiane règle par le bon sens ce que les aficionados du Coran rendraient problématique et dogmatique.

"Six pieds sur terre" est un film paradoxal : il se situe à fond dans la communauté musulmane mais est tout sauf un film communautaire. Il sait être universel et tolérant. Cette plongée dans le monde de la mort n'est pas lugubre. Au contraire, on s'y amuse tout en réfléchissant sur le sens de la vie.

Si Sofiane quitte ici une adolescence compliquée, c'est pour devenir une belle personne ouverte aux autres et pleine de compassion. Un film d'une rare intelligence.