Réalisé par Julien Paolini. Policier, drame. 1 heure 20 minutes. Sortie le 17 juillet 2024. Avec Syrus Shahidi, Alexis Manenti, Karidja Touré, Foëd Amara, Hortense Ardalan, Sabrina Ouazani, Steve Tientcheu.
Si l'on consulte les archives de Froggy's Delight, on trouvera en 2013 un article consacré à une adaptation du "Journal d'un fou" de Nicolas Gogol, au théâtre du Gymnase avec comme seul acteur interprétant ce texte magnifique, magnifiquement casse-gueule, Syrus Shahidi, dont c'était la première expérience théâtrale.
On avait évidemment dit tout le bien qu'on pensait de l'acteur et on lui prédisait un grand avenir. On est donc heureux qu'en dix ans, il est parcouru le chemin qu'on espérait de lui. Julien Paolini l'avait déjà mis en tête de son premier long métrage, "Amare Amaro" (2020). Il récidive avec "Karmapolice" où il joue Angelo, un policier en arrêt, arrêt maladie pour une affaire qu'il a du mal à évoquer, arrêt aussi sur vie à la recherche de son être et de son âme perdue.
Dans ces conditions, le texte de Gogol qu'il maîtrisait si bien a dû servir à Syrus Shahidi pour composer Angelo. Là où d'autres n'y verront qu'un spectre d'Al Pacino dans "Serpico", barbe profonde et bob sur la tête, on saura qu'il y a une autre profondeur, une autre douleur qui fouaille les entrailles du jeune flic idéaliste égaré au milieu de ses collègues triviaux, joués à la perfection par Foëd Amara et par Sabrina Ouazani, cheffe des stups dans l'étonnant rôle de "maman".
On va être bien sûr dans le policier de terrain, dans l'asphalte et les poubelles mal ramassées, dans un quartier perdu du cinéma français de genre. C'est à Château Rouge, rue Dejean, qu'Angelo emménage en plein désarroi avec sa compagne Pauline (Karidja Touré) qui n'aspire qu'à l'intégration sociale et sent son beau projet d'installation bourgeoise avec son petit ami flic s'évanouir dans les méandres tortueux du cerveau de celui-ci.
Mais était-ce une bonne idée de s'installer là où rodent des ombres mystérieuses, où la sorcellerie, réelle ou fantasmée, hante les cages d'escaliers et les ruelles de ce coin chaud du 18e arrondissement.
Quand on veut fuir sa vie de policier, est-ce la solution de s'immerger au milieu des toxicos et des paumés ? Angelo va vite comprendre qu'il n'est pas venu ici par hasard et cette découverte va s'incarner dans une personne, un nommé opportunément "Poulet", mi mythomane mi fantôme bipolaire, un être avec qui il va "aider" les pauvres dans un centre social et apprendre à partager sa connaissance des lieux. Alexis Manenti crée un personnage d'égaré agité comme en recelait jadis le cinéma populaire français. Sans doute est-il un peu seul pour peupler cette casbah sans Pépé le Moko. Julien Paolini semble parfois viser ce que réussissait Juliet Berto dans "Neige", mais il est trop centré sur Angelo pour que le quartier devienne le véritable héros du film. Il n'est qu'un élément important de l'histoire, un labyrinthe qui égare Angelo, le déroute hors du chemin qu'il cherche à se frayer pour reprendre pied..
"Karmapolice" est un film fragile et c'est cette fragilité qui lui donne la force de n'être pas un film policier de plus. On ne peut présager de rien. Il tisse une belle toile pleine de brouillard autour de Syrus Sahidi .
On aimera ou pas se prendre dedans. En tout cas, "Karmapolice" est une œuvre singulière qui saisit l'époque à sa manière et en dessine les fractures avec sincérité. On n'oubliera pas la prestation impériale de Syrus Sahidi.