Réalisé par Albert Gout. Comédie musicale, drame. 1 heure 41 minutes. Sortie le 10 juillet 2024. Avec Ninon Sevilla, Tito Junco, Andrea Palma.

Quelle bonne idée de ressortir pour l'été trois films de l'âge d'or du cinéma mexicain avec Ninon Sevilla en vedette. On pourra la voir dans "Aventurera" d'Alberto Gout, avec qui elle tourna six films, "Victimes du Péché" (1951) d'Emiliano Fernandez, et "Llevame en tus brazos" (1954)de Julio Bracho, ces deux derniers films ayant pour directeur de la photo, le plus grand chef op mexicain, Gabriel Figueroa, celui qui collabora avec John Ford et Luis Bunuel.

Avant tout danseuse, la blonde mexicaine se spécialisa après la guerre dans des comédies et des mélos où elle était toujours la victime innocente de la cupidité sexuelle des hommes. En général, elle se retrouvait à un moment ou à un autre dans des cabarets interlopes où elle ne faisait pas que chanter et danser.

"Aventurera" est un mélo musical flamboyant, aux rebondissements qu'on essaiera de ne pas dévoiler. Ce qui fait la force du film, comme en général ceux où apparaissent Ninon, c'est qu'il n'y a aucun prêchi prêcha moralisateur. A la différence des films américains, on ne tergiverse pas : Ninon est bien obligée d'y passer. Ici, une prostituée est une prostituée. Evidemment, on découvre qu'à l'instar de bien des jeunes femmes mexicaines sans défense, orphelines et abusées, elle se retrouve à exercer sous la contrainte le plus vieux métier du monde. On aura une scène explicite où elle sera obligée de céder sous peine d'être défigurée par la lame de Rengo, le petit tueur du cabaret-bobinard où elle a été vendue par Lucio, le mac sans scrupule. Rengo, c'est Miguel Inclan, le méchant aveugle des Olvidados de Luis Bunuel et le Cochise du Massacre de Fort-Apache de John Ford ; Lucio, c'est Tito Junco, qui traversera plus de quarante ans de cinéma mexicain.

Entre deux numéros de danse, tous aussi baroques les uns que les autres où Ninon évoque Carmen Miranda et sa coiffe de bananes ou d'ananas, reconstitue l'ambiance torride des harems en utilisant, trente ans avant Gainsbourg, "Sur un marché persan", la musique de Ketelbey, on entendra aussi des chansons souvent servis par des grands noms populaires mexicains, à l'image de Pedro Vargas qui apparaît dans le cabaret où Ninon est retenue par une méchante mère maquerelle, mais pas que..., interprétée par la grande star des années trente-quarante, Andrea Palma.

En général, les cinéphiles français croient que Luis Bunuel domine le cinéma mexicain des années cinquante. Grâce à cette mini-rétrospective, une de leurs certitudes, vivace et infondée, tombera : ils verront qu'il pouvait compter sur des scénaristes, des acteurs, des techniciens comme Gabriel Figueroa, qui travaillaient avec d'autres réalisateurs à une époque où le cinéma mexicain réussissait à damer le pion à Hollywood et produisait énormément de films de qualité.

Il suffit de voir la beauté des images de "Llevame en tus brazos" (Prends-moi dans tes bras), notamment toutes les scènes de pêche, pour constater que Figueroa n'avait pas besoin de Don Luis pour fabriquer un cinéma lyrique et inspiré. Il faut voir aussi comment il magnifie en gros plan façon Harcourt la pétulante Ninon, avec ses gros yeux ronds, sa bouche gourmande et ses dents un peu en avant.

Il ne faudra pas oublier non plus ses jambes, paraît-il les seules à rivaliser avec celles de Marlène Dietrich, pour avoir fait le tour de cette actrice au jeu nullement daté et au charme intact comme son sex-appeal.

Bref, il faut aller voir "Aventurera". On est à peu près sûr qu'on ne pourra pas alors faire autrement que de visionner les deux autres films au programme de la rétrospective. On découvrira la richesse de ce cinéma d'outre Rio Grande, généreux et imaginatif, dans lequel on ne réécrivait pas deux fois le même film.