En cheminant sur les petites routes verdoyantes de la Manche, on finit par arriver en fin d’après-midi derrière une file de voiture : contrôles habituels et nous voilà garés en plein champ. Des navettes sont mises à dispositions de ceux arrivés par la gare. On croise un bon nombre de personnes oreillers et duvets sous le bras, partant s’installer pour les 3 jours de festival.
Nous y voilà : le festival éco-citoyen de Montmartin-sur-Mer, dans la Manche, réputé depuis plus de 30 ans pour sa programmation éclectique et surtout ses jeunes talents et pépites de demain. Et pour l’éclectisme et la découverte musicale. On va être bien servi !
"Chauffer dans la noirceur" est une expression québécoise qui signifie Conduire dans la nuit : pourquoi cette expression comme nom de festival ? Nous n’avons malheureusement pas la réponse, mais c’est classe quand même !
L’ambiance générale est détendue et bon enfant. Nous arrivons avant que les portes n’ouvrent. Les nombreux bénévoles s’affairent dans tous les sens. La plage étant à côté, on y fait un petit tour avant que les choses sérieuses ne commencent !
Au fil de la soirée, les festivaliers continuent d’affluer si bien que le site est plein aux alentours de minuit. On reste cependant dans un festival à taille humaine et certainement pas à visées purement commerciales comme on peut le voir ailleurs… On ne met pas 20 minutes à se déplacer entre chaque scène, c’est plutôt agréable !
Le site, très agréable au demeurant avec ses bottes de paille sur lesquelles s'asseoir et des tables en bois pour se restaurer, est composé de deux grandes scènes qui jouent en alternance : un plein air et un grand chapiteau et deux plus petites, sous des chapiteaux, dont une étonnante scène circulaire en mode piste de cirque.
L’offre extra-musicale est diversifiée et de nombreuses activités et stands proposés : vêtements, bijoux, maquillage et même coiffeur ! Sans oublier les nombreux produits régionaux à manger et boire. On se régale les oreilles mais aussi l’estomac (première fois qu’on a l’occasion de manger des fruits de mer en festival !).
Mike Love ouvre le festival. Il ne s'agit pas de l'ancien membre des Beach Boys, mais d'un artiste de reggae venu d'Hawaii. Look rasta avec sa chemise de Magnum, le musicien a débuté sa carrière en 2014, réalisé trois albums studio et de nombreux live. Assis, ses dreads traînent par terre. En fait, malgré les "Jah is leading", il délivre plutôt des mélodies pop avec des arrangements dub.
Avec sa guitare, ses pédales d'effets, un clavier, un mélodica, il met beaucoup de cœur dans ses interprétations. Souriant, s'adressant au public, délivrant des messages d'amour et de paix, le contact qu'il établit avec les premiers rangs respire la bienveillance. On croise d'ailleurs devant la scène quelques dreadlockeux, dansant pieds nus. Même sans aimer le reggae, difficile de commencer cette 32ème édition de Chauffer dans la Noirceur sous de meilleurs auspices, un premier verre de cidre fermier à la main sous les derniers rayons du soleil.
Squirrel Flower qui jouait ensuite sous le grand chapiteau, devant un public encore un peu clairsemé à cet horaire, nous a vraiment emballés.
Depuis 2018, Ella O'Connor Williams a sorti quatre albums studio. Entre folk et shoegaze, elle met au service de compositions parfois énergiques, parfois douces, sa magnifique voix.
En arrière, elle peut compter sur des musiciens solides. Le batteur a néanmoins la frappe lourde. Dès lors on comprend mieux que son récent concert parisien au Hasard Ludique ait dû se transformer en concert acoustique en cours de show suite à des plaintes du voisinage. Pourtant, en fin de set, il a montré que lui aussi était capable de douceur.
Si Ella O'Connor Williams montrait des signes de nervosité en début de concert, l'accueil très chaleureux du public l'a amenée à se détendre assez rapidement. Le public de Chauffer Dans La Noirceur ne s'est pas trompé en l'applaudissant très chaleureusement à la fin d'un set qu'on aurait aimé voir se continuer.
Petit arrêt bulots-mayo et frites accompagnés d’une pinte de cidre local avant de voir Pierre-Hugues José, le rappeur made in Vesoul qui pose devant un tracteur sur la pochette de son dernier EP, Comment Qu'C'Est ?.
Il a beau avoir un doctorat en neurosciences, il joue la carte du rappeur des campagnes et force, entre les chansons, son accent franc-comtois, mais les textes sont assez acides et lucides. Moins comique que Kamini et moins amer que MC Circulaire, Pierre-Hugues José incarne cette France du rap qui a pourtant grandi loin des cités. Ses textes semblent trouver écho chez le public de la Manche, plutôt jeune, venu l'écouter. Le titre "Bouyave", par exemple, retourne complètement le chapiteau 3e Oeil. Après cette première visite en Normandie, Pierre-Hugues José déjà est attendu par ses nouveaux fans.
Pendant ce temps joue, sur l’autre scène, Maruja, un groupe de jazz rock progressif venu d’Angleterre. Une curiosité. Le chanteur / guitariste est torse nu en short violet et harangue la foule pendant que son compère nous offre de longs solos hypnotiques de saxo. Les morceaux s’étirent, le tout est nimbé d’une énergie envoûtante.
Le public est arrivé tard et il est donc difficile de s'approcher de la grande scène pour Gogol Bordello. Le groupe gypsy punk américain compte jusqu'à 8 musiciens sur scène. Au début, ça avait un air de l’Orchestre des Mariages et des Enterrements de Goran Bregovic, mais en plus débraillé et rock. Ensuite, les influences se font plus diverses comme sur "My Companjera" ou "Immigraniada".
L'énergie et la manière d'aller chercher le public rappelle la Mano Negra des années 89 / 90 : ça saute dans tous les sens, les différents membres du groupe s’adressent beaucoup au public et il n’est pas impossible de se recevoir une giclée de la bouteille de vin rouge que le chanteur tient à la main. Le concert manquant de respirations, ce rythme effréné nous perd un peu sur la fin mais ça reste extrêmement agréable et plein d’énergie.
Ensuite nous allons écouter Yetundey, une jeune rappeuse de Berlin qui rappe en allemand, anglais ou français, s'adresse au public dans un français impeccable, joue du synthétiseur guitare (Nena, sors de ce corps !) et a un enthousiasme et une énergie très communicative. La mère d’Alexandrine Yetunde Joseph est moitié nigériane, moitié française et son père, moitié nigérian, moitié allemand. Elle a débuté le piano à 6 ans. Excentrique, inclassable et drôle. Durant tout le concert, elle parle avec le public qui la découvre et l’adopte immédiatement. Et même après la concert, on la voit derrière la crash barrière toujours en train d’échanger avec une poignée de spectateurs alors que son concert est terminé depuis plus d’un quart d’heure.
On a seulement entendu une partie du concert de Tentative. Sons électro rock, influences new wave, textes plus parlés que chantés rappelant un peu La Femme, branches de céleris lancées dans le public (!?!). On le regrette car tous les artistes du label Kwaidan de Marc Collin ont une personnalité forte. Mais il était très compliqué d’approcher de la petite scène 3e Oeil. Mais après cette mise en bouche, on va forcément chercher à en apprendre plus sur le groupe de Charlie, la leadeuse de Tentative.
On ne reste pas pour les Psychotic Monks qu’on a déjà vu et on privilégie la découverte avec le metal de Doorshan, un groupe normand, sous le chapiteau Odyssée : du bon son bourrin. Ils se donnent à fond et le public est très chaud. Trois musiciens et une chanteuse qui va au contact du public. Et quand on dit au contact, ce n’est pas une figure de style. Elle se colle aux premiers rangs, éructe sa hargne au visage des spectateurs. Le groupe, même s’il répète à l’envi à quel point ils sont heureux de jouer face à leur public, dégage quelque chose à la fois sexy et dangeureux. Mais on regrette la configuration sous ce chapiteau, avec sa scène centrale à hauteur du public, qui permet assez peu d'apprécier le visuel. Peut-être aurait-il fallu surélever cette scène de quelques centimètres, mais alors le contact avec les spectateurs auraient forcément été différent.
Quand on part, le public est nombreux sur le site, une longue nuit de sets électro s’amorce, quant à nous on se donne rendez-vous pour les premiers concerts du samedi.