Le Rock dans tous ses états, l'évènement musical de l'été haut-normand, a une atmosphère particulière.
Premier festival de la saison, il est souvent, pour certains groupes le début de la route. Quand le beau temps est de la partie, c'est une atmosphère chaleureuse, bon enfant, ouverte et festive, ce qui est parfois rare dans les contrées normandes. Il est avant tout un festival nerveux et pointu, toujours plein de surprises
Pour le cru 2006, A chaque jour sa couleur. Le vendredi se voulait plus cynique, décalée et festif avec les élucubrations du vendéen préféré de la presse rock, Katerine, et dans la musique destructuro-déconnante du bassin lensois avec les fantastiques Marcel et son orchestre, plus jouissif que jamais en ces bords de Picardie.
Le samedi avait pour nom "puissance, comme pour finir en beauté. En effet, le festival perdra en septembre son directeur, parti vers un autre pari : réveiller la scène rouennaise, endormie depuis trop longtemps malgré la vivacité de ses groupes.
En pour ce samedi, quel programme !
Bumcello tout d'abord, le groupe foutraque de Cyril Atef et de Vincent Segal ne présentait pas au premier abord une puissance de feu phénoménale, surtout dans la moiteur de l'après midi.
Mais rien ne vaut quelques riffs aussi acides que basiques de notre violoncelliste préféré pour nous rappeler que c'est bien, quand même, un jazz qui ne porte pas son nom, qui guette à la fenêtre les circonvolutions des musiques urbaines pour les glaner sans les piller, en restant toujours marqué par les mélodies fondatrices d'un jazz-rock vitaminé.
Si tout ceci est en prime accompagné par la rythmique impeccable d'un acolyte multi facette - monsieur Atef s'était décidé à venir affublé d'un magnifique boite à œuf transformé en masque africain - passant du ragga à un ternaire étouffant, gratouillant des percus, ou se déshabillant sur scène, un concert réussi prend forme…
Le set, un peu court fut tout de même très agréable et annonçait, déjà, le feu qui allait être mis quelques heures plus tard sur cette même scène.
Etait-ce une volonté de faire goûter aux festivaliers les joies revigorantes du Sauna ?
Alors que les dernières notes d'Atef et Segal se dissipaient, c'est le folk glacé de la jolie suédoise Anna Ternheim qui prenait le relais. Collée au micro, avec une présence scénique confinant au néant, la partie n'était pas gagnée, malgré des mélodies bien senties et un clavier intuitif nous réconciliait malgré tout avec cette jeune fille sans nulle doute nourrie par le "body folk" des années 90, des Suzanne Vega, Tori Amos et consoeurs.
Mais à cette heure, quitte a écouter du folk, c'est sur la scène des trouvailles, la Papamobile, comme bien souvent, qu'il fallait se trouver.
A quelques mètres de là, on pouvait découvrir La maison Tellier.
Les trois rouennais sont la découverte la plus réjouissante depuis longtemps sur la scène rock rouennaise, qui a pourtant régulièrement ses lettres de noblesse. Le trio guitare/contrebasse/batterie à la nonchalance virulente explore avec beaucoup de jouissance les ramifications tordues qui ont conduit Dylan à électrifier une guitare.
Avec le cactus en plastique qui va bien sur le bord de la scène, le public composé pour beaucoup des déçus de la mélopée nordique se retrouve projeté en quelques mesures sur une route ensoleillée du sud des Etats-Unis.
Tout amoureux du rock en redemande, histoire de finir doucettement l'après-midi avant d'entamer le gros du programme.
Le gros du programme, ce n'est pas Eddie Argos, le chanteur agaçant à l'ossature lourde avec un peu de bière dessus mais surtout avec une morgue assez détestable du groupe anglais Art Brut.
Mélodies ressassées, pop sans affect et attitude méprisante ne font pas d'un groupe moyen d'un coup de baguette magique des dandys du rock'n'roll. Ce n'est pas parce qu'on ventripote un peu qu'on s'appelle Franck Black avec un accent cockney...
Surtout quand la grande force électrique des Pixies, quoique visiblement singée en boucle devant une glace pendant toute l'adolescence qu'on imagine difficile du chanteur, est aussi présent qu'une chaire de musicologie dans un poisson pané…
Art Brut essaye par son nom et ses textes de se faire passer pour ce qu'il n'est pas. Son chanteur aux chaussettes roses trouées - et quand on remarque qu'un chanteur a des chaussettes roses trouées, c'est qu'il n'a rien à dire - peut en faire des tonnes, l'esprit n'y est pas.
Gageons que la mode de la renaissance du rock anglais passera comme le reste et que l'on recomptera ses billes, gardant le bon grain pour l'ivresse.
A ce jeu, les Dirty Pretty Things, tête d'affiche du début de soirée renverront, comme ce fut le cas à Evreux, Art Brut à ses chères études.
Les Dirty sont à coup sur la bonne surprise de ce festival, des allures de divas adolescentes, une attitude affirmée et jouissive, mais surtout de la vraie arrogance rock, de la lourdeur de riff, un rien de punk distillé dans une pop carrée, réglée et assumée, et qui surtout fonctionne sur scène et électrise l'hippodrome rajeunit et se mettant à slamer en moins d'un morceau.
Une musique qui explose comme une acné et vous saute à la gueule, manière de dire aux trentenaires que si leur musique est encore là, elle ne leur appartient plus, que ces plans binaires ont désormais été réquisitionné par une génération pour qui Sid Vicious n'a jamais existé qu'en poster…
Mais les trentenaires, bien malins attendaient leur revanche, tapis dans l'ombre.
Ce samedi la puissance avait nom de dieu grec, était haut comme trois pommes et adepte de la natation synchronisée dans le public. Dionysos est le meilleur groupe français du moment.
Un groupe généreux sur scène qui a en plus un lien particulier avec Evreux et le directeur du festival, qui les a toujours soutenu, comme il a toujours soutenu la musique vivante.
Matthias Malzieux est une pile électrique en transe qui commence son concert en grimpant sur la structure de la scène et le finit en traversant l'hippodrome en slamant.
Ses musiciens, gardiens du riff et de la virulence pendant que le petit chanteur énervé électrise le public en gigotant, savent faire mousser un thème qui fait sauter bêtement.
Des musiciens attentifs à leur petite perle rock surveillant du coin des yeux s'il ne va pas finir par sauter du haut de la tour de l'ingénieur du son pour voir si ça fait mal...
Le public du rock dans tous ses états, venus visiblement en nombre pour voir le phénomène et seriner des "ta gueule le chat" aux moments adéquats en était bien sur ravi…
Une communion réussie, qui se termine sans son, alors que le public dévot ne se lasse pas de rester auprès d'une scène débarrassée de ses instruments mais pas de Malzieux qui continue tout seul avec un petit harmonica pendant que les Infadels, sur la scène d'en face égrainent leurs premières notes.
Il se met à pleuvoir, comme pour conjurer le sort… on ne verra pas meilleur concert ce soir.
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