Qui ne connaît pas Alfred Jarry, l'auteur du fameux "Ubu roi", œuvre de jeunesse d'un auteur foudroyé par la tuberculose à 34 ans, l'inventeur de la pataphysique et le précurseur du théâtre de l'absurde dont l'œuvre constituera une source d'inspiration pour les surréalistes ?
Et pourtant à lire cette phrase on pense à un résumé de vulgarisation. Car l'œuvre de Jarry ne se limite pas aux aventures d'Ubu. Et cependant certaines de ses oeuvres sont tombées dans l'oubli au moins pour le commun des mortels dont "Le surmâle".
"Le surmâle" nous entraîne dans l'univers fantasmatique de Jarry, un monde qui intègre les données contemporaines pour les analyser jusqu'à l'absurde et les projeter dans un futur prémonitoire. Ce roman est étonnant et déconcertant. Déroutant et riche au point qu’une lecture n’est sans doute pas suffisante.
Ecrit au début du 20ème siècle placé sous le signe du futurisme et du scientisme, "Le surmâle" imbrique toutes les idées et tendances nouvelles telles l’ère de la machine, la foi en la toute puissance du progrès, le culte du corps, pour les pousser au delà de leurs limites raisonnables au terme de délires argumentatifs qui séduisent l'esprit.
Au cours d'une soirée mondaine au château de Lurance, le maître de céans s'ennuie et lance une phrase d'apparence anodine qui prend l'allure d'un postulat : "L'amour est un acte sans importance, puisqu'on peut le faire indéfiniment." qui recèle les deux sens profond du texte relatifs à l'infini et à l'amour.
Deux récits sont imbriqués : celui de l'aliment miracle, le Perpetual-Motien-Food qui rend l'homme supérieur à la machine, supériorité illustrée par la course des dix mille milles entre une locomotive et une quintuplette de cyclistes et celui du record mythologique du nombre de rapports sexuels successifs prolongé par l'expérimentation de la machine-à-inspirer-l'amour dans lesquels Jarry développe une sorte de logique à rebours liée à une pathologie de la temporalité.
"Le surmâle" recèle aussi une histoire d'amour paranormale au sens où les deux protagonistes manifestent un refus de la normalité. Au delà des conceptions ou points de vue ordinaires. Sous-titré "roman moderne" par l'auteur lui-même, ce roman est d'une modernité et d'une beauté conceptuelle remarquables.
Dans le poème "Le vélin", véritable ode au livre, il écrit "les prédictions d'or qu'il emmagasine, seul le nécromant peut les lire sans péril, la nuit, à la lueur des torches de résine". "Le surmâle" est sans doute de ceux-là. |