Elle arrive sur scène comme elle en repart, en sautillant comme une danseuse étoile dans ses grosses et hautes doc Martens lacées sur ses frêles chevilles.
Elle, c'est Jeanne Cherhal. Une petite bonne femme dans une petite robe rigolotte un grand sourire aux lèvres et une vraie joie de vivre et de jouer masquant tranquillement son trac en cette première soirée de concerts pour inaugurer son tout nouvel album L’eau.
Rendez vous donc dans le théâtre du Trianon pas aussi plein que l'on aurait pu le croire. En effet, tout le monde est assis et il reste même pas mal de places. Personne debout dans les coursives, on se croirait presque au théâtre.
D'ailleurs personne n'a envie de se mettre debout dans les coursives. On n'est pas à un concert de rock que diable, ici on est propre sur soi et dans sa tête, on mange bio et on lit Armistead Maupin et Marc Levy, pas question de siroter de la bière dans des godets en plastique et de taper la discute au fond de la salle.
Même le premier rang est sage lorsque arrive ce petit lutin sur scène accompagnée de ses 3 musiciens. Ce soir l’hystérie sera collective et organisée ou ne sera pas !
Quelques ovations plus tard le concert commence ... ou presque. Jeanne Cherhal, tape sur son piano, là, debout, tandis que ses musiciens s’installent sagement et puis toujours en faisant de la percussion sur son beau piano elle se dirige vers le clavier et s ‘y installe pour disparaître presque entièrement derrière un gros micro.
Début de concert tranquille et presque classique pour qui connaît Jeanne Cherhal, rivée derrière son clavier faisant des petits mouvements rigolos en chaussons de danse sur ses précédents concerts. Pourtant, et les doc Martens sont aussi là pour le rappeler, quelque chose a changé chez Jeanne (et ce n’est pas à cause d’une marque de céréales pour petit déjeuner, du moins pas à ma connaissance).
On avait déjà bien compris que sur son nouvel album, le virage avait été pris et la page tournée.
Les chansons deviennent moins narratives, les mélodies plus pop et ne se contentent pas d’un accompagnement faisant la part belle au texte.
Le titre "L’eau" qui sera par ailleurs joué 2 fois ce soir en 2 versions différentes, en est la parfaite synthèse avec sa construction basée sur une rythmique et une scansion un peu hachée et deux voix.
Pour qui connaissait les ritournelles de la belle, la surprise est de taille, la mélodie se déstructure pour mieux rebondir là ou l’on ne l’attend pas (notamment au niveau des percussions et des rythmiques en général), les textes se font plus abstraits et déclamatoires sans forcément raconter une histoire (encore que "L’eau" est un peu l’exception et que la part belle est encore faite au sens plutôt qu’aux sonorités sur l’ensemble du concert) et la demoiselle ose quitter son piano pour jouer de la guitare, sauter et gesticuler en tous sens avec une certaine spontanéité même si elle est sans doute à relativiser pour qui aura vu le même spectacle plusieurs fois de suite.
Le groupe lui est à l’aise. Souriants et visiblement complices les 3 musiciens passent tranquillement de la guitare au clavier, de la basse au chant ou encore de la batterie à la "percussion vocale" autrement appelé human beat box.
Le plaisir que tous les 4 prennent à jouer ensemble est communicatif et les titres s’égrainent tranquillement tandis que le public commence à s’agiter et à taper dans les mains de plus en plus souvent, sollicité par Jeanne Cherhal il est vrai. Et c’est là que les deux univers de la demoiselle se recoupent à nouveau. Celui de la nouvelle Jeanne et ses morceaux plus difficiles d’accès et celui de la Jeanne que le public attend qui demande de taper dans les mains ou de chanter en choeur un pompom sur un titre au final plutôt réussi.
Mais la nouvelle Jeanne c’est aussi "L’eau" et c’est autour de l’eau que le décor de la scène fait allusion. Bon autant le dire tout de suite, c’est moche.
En effet, cela consiste à disposer des bonbonnes d’eau bleues que l’on trouve en entreprise (tout le monde connaît cela parmi vous n’est-ce pas ?) munies plus ou moins d’un éclairage (tantôt à l’intérieur pour celles disposées au sol, tantôt par dessus pour celles suspendues en l’air) avec quelques menues bulles d’eau dedans tellement petites que l’on ne les décerne sans doute déjà plus du deuxième rang.
Et puis franchement, des bonbonnes d’eau, ce n’est pas ce qu’il y a de plus esthétique sur une scène de spectacle… Curieux choix alors si ce n’est pour rappeler au joyeux bourgeois bohême présent ce soir de façon massive que ‘oui, Jeanne Cherhal vous aime et pense à vous et c’est pour cela que vous l’aimer’ (mais peut-être que je vois le mal partout et que le décorateur a vraiment mauvais goût ou un petit budget …).
Bref, petite parenthèse ludique sur le décor qui, de toute façon, ne change pas la face du monde puisque c’est celle (de face) de la belle Jeanne que tout le monde était venu voir ce soir.
"Merci" chante-t-elle en rappelle accompagnée seulement de son guitariste en acoustique.
Chanson un peu racoleuse, tabouret de bar compris, et un peu inutile replongeant la demoiselle dans ses anciennes tentations de textes un peu scolaires vaguement mis en musique.
On préfèrerait presque sa maladroite reprise de Fiona Apple avec un accent anglais qui aurait fait pâlir de jalousie Arafat mais dont l’intention était bonne et la référence assez bien vue (on aurait vu moins crédible une reprise de Johnny Cash).
Qu’à cela ne tienne, c’est une standing ovation, un peu démesurée tout de même, qui salue celle qui ne veut pas qu’on l’appelle la "Vincent Delerm féminine"…et elle à bien raison, pour le meilleur et pour le pire. |