Que penser d’un groupe qui tire son nom de l’insurrection des "décabristes", un groupe d’officiers russes qui tentèrent de faire un coup d’état en décembre 1825 ? Putsch, soit dit en passant, noyé dans le sang par le tzar Nicolas I !

A première vue, on pourrait imaginer une pop cérébrale qui s’écoute parler, ou plutôt chanter, avec des textes prétentieux et des mélodies tellement chiadées qu’elles en sont chiantes. On imagine également aisément le chanteur dandy, avec une paire de lunette à grosse monture noire et une mèche rebelle qui lui recouvre le front.

On peut, en effet, imaginer beaucoup de choses à partir d’un simple nom de groupe...

Mais tout cela était avant de poser délicatement le doigt sur la touche lecture de ma platine. Et si, en effet, le chanteur Colin Meloy a bien l’apparence décrite ci-dessus, toutes les précédentes supputations n’étaient que purs fantasmes nourris de clichés frôlant même la médisance.

Colin Meloy, bonne bouille et mèche ramenée sur le devant, est la tête pensante de The Decemberists. Songwriter, chanteur et guitariste, il a su s’entourer d’un groupe de 4 musiciens d’horizons divers pour créer un joyeux melting pot. Multi-instrumentistes, les membres du groupe donnent à entendre, violon, contrebasse, banjo, pedal-steel, dulcimer, et même bouzouki.

Avec trois albums à leur actif, The Decemberists s’est forgé une réputation de conteur d’histoires déjantées. Précédemment sur un petit label, le groupe a signé avec une major pour ce dernier opus. Crime impardonnable pour les puristes de l’indie, ce choix leur a donné des moyens supplémentaires pour aller encore plus loin dans leur excentricité.

Le point de départ de l’album est une légende japonaise. Trouvé, il y a quelques années, dans la section jeunesse d’une librairie de Portland, ce conte traditionnel relate l’histoire d’un homme marié à une grue métamorphosée en femme. Fatalité oblige, l’homme transgresse l’interdit que lui avait posé sa femme et découvre son secret, la perdant ainsi à tout jamais. Colin s’est servi du conte pour développer les thématiques de l’album. Pas vraiment album concept (deux chansons sont en lien direct avec la femme grue), tout l’album est cependant inspiré par ce conte tragique.

Côté musique, The Decemberists mêle folk, pop, et rock progressif mais aussi klezmer ou bien musique irlandaise. Et Colin Meloy, ciseleur en chef pose inconditionnellement sur chaque morceau d’impeccables mélodies.

Des chansons pop au format standard, tels "Summersong" ou bien le très enjoué premier single "O ! Valencia", côtoient des morceaux plus aventureux.

Ainsi "The Island" long de 12 minutes, est un triptyque, composé de parties bien distinctes mais cohérentes. Débutant par un instrumental très seventies qui n’est pas sans rappeler ceux de Spirit ("Come and see"), le morceau fait ensuite une incursion tonique par l’Irlande ("The landlord’s daughter") pour finir par s’apaiser au son de la guitare acoustique et du violon ("You’ll not feel the drowning").

La voix de Colin devient fragile pour la complainte dépouillée "Shankill butcher", puis se mêle à celle de Laura Veirs, la chanteuse indie de seatlle, pour la perle pop "Yankee bayonet". Changeant promptement de registre, l’ambiance se fait plus lourde au son de la guitare saturée sur "When the war came" tandis que "Perfect crime" frôle le dansant avec une guitare légèrement funky. Puis "Son and daughter", jolie ballade idéaliste bi-accords, conclue l’album au son d’un très optimiste "Here all the bombs fade away" collégial.

Malgré des mélodies parfois légères et pop, les paroles sont d’un tout autre registre. Le texte peut être autant violent que la mélodie est légère. La mort et l’amour traversent de part en part l’album. Raffinement dans les histoires, Colin y chante avec lyrisme. Il offre des textes sans préciosité ni prétention excessive mais cependant littéraires et nourris de culture.

Avec un nom de groupe intello et une érudition assumée, The Decemberists offre une pop qui cache bien son jeu. Loin des paroles faciles et des thèmes vides de sens, Colin fait preuve de culture classieuse et donne à entendre des textes raffinés.

Conteur d’histoires et musiciens aguerris, le groupe sait passer de la pop entraînante à l’intimisme, de l’enjoué au mélancolique. Ayant rencontré un succès mérité aux USA, cet album pourrait bien devenir un indispensable.