Pierre et Gilles exposent au Jeu de Paume dont le fronton s'orne de leurs portraits en cosmonautes, sur fond floral, couronnés d'un coeur. Cosmonautes ou extra-terrestres ? Qu’importe puisqu’ils nous entraînent bien à la découverte d’un nouvel univers, la planète "Double je" qui fête son trentième anniversaire.
A la manière de Gilbert et George dont ils seraient les cadets made in France, Pierre et Gilles forment un couple d’artistes, à la ville comme à la scène, qui a trouvé l’harmonie et un succès international dans une parfaite complémentarité artistique.
De surcroît, le peintre et le photographe ont enfanté une œuvre singulière et unique reposant sur un processus technique novateur résultant de l’utilisation symbiotique de deux supports différents, la photographie et la peinture, qui aboutit aux "photographies-peintures" qui régénère l'art du portrait. Un style désormais emblématique qui s'inscrit dans la tendance "néo-pictorialisme" de la photographie plasticienne valorisant le geste artistique et la subjectivité créatrice.
A cela s'ajoute un univers idéalisé, en rupture avec la réalité, résultant de la sédimentation d'un vécu atypique soigneusement préservé sur un socle résolument ancré dans l'enfance qui témoigne d'un rapport philosophique au monde. Car cet univers est le leur au point de leur faire dire : "Notre art s'est mélangé à notre vie au point d'être son histoire."
Atmosphère chamallow, cimaises couleurs candy et installations plastico-florales pour une scénographie ludique et un parcours thématique.
L'exposition au Jeu de Paume revêt la forme d'une rétrospective de ces trente années de création en présentant un nombre important d'oeuvres et, pour la première fois, l'ensemble de leurs autoportraits.
La galerie blanche des autoportraits permet de suivre les aventures extraordinaires de Pierre et Gilles qui s'inventent des doubles aux vies multiples (les très beaux "Autoportrait à la cigarette" léchés par les flammes et entourés d'étranges visages transparents.
D'autres portraits , ceux en médaillons ("Kryptonite") ainsi que quelques exemplaires de la très impressionnante série anamorphique à la Bacon "Exil intérieur".
La transmutation iconique du sujet portraituré
A partir de l’esthétique du beau idéalisé, Pierre et Gilles mettent en scène la figure de la beauté en excluant tout naturalisme.
Personnes célèbres ou inconnus, tous sont soumis au même protocole esthétique qui aboutit à leur représentation transfigurée qui n’est peut être pas étrangère à leur personnalité intime telle qu’elle est perçue par Pierre et Gilles.
Certaines frôlent le pastiche comme celle de François Pinault en "Capitaine Nemo" accompagné d’une otarie qui jongle avec une balle ou Laetitia Casta en tenue modeste, qui rappelle celle de Brigitte Bardot dans "Et Dieu créa la femme", mais transformée en ménagère napolitaine.
D’autres tendent vers une certaine réalité comme Catherine Deneuve dans "La Reine blanche", Arielle Dombasle en "Extase" ou Marilyn Manson dans "The dead song", dont l’ex-épouse Dita Van Teese est superbement immortalisée en victime du "Dahlia noir".
Cette transmutation s'accompagne d'une morbidité certaine comme la beauté momifiée n'est qu'un subterfuge pour masquer la réalité de la corporéité en décomposition.
Humanistes utopistes, même s'ils aspirent à l'Eden retrouvé, Pierre et Gilles ne nient pas la cruauté des contes de fées ("Le cauchemar d’Alice"), les frayeurs enfantines ("Maman !") ou les réalités socio-politiques ("Le vendeur de métro", "La petite fille des HLM", "Le triangle rose").
La manière, un syncrétisme sulpicien
Avec force mise en scène et confusion des genres, usant aussi bien des canons artistiques que du kitsch, Pierre et Gilles pratiquent l’art de l’hybridation des thématiques et des mythes sans considération d’époques ou de cultures, usant aussi bien des iconographies populaires très répandues que de l’art identitaire comme la culture gay.
Les mythologies antiques et bibliques ("Mercure", "La mort d’Abel") sont traitées comme des toiles de la Renaissance italienne, dans une salle rouge quatrocentto.
C’est d’ailleurs dans une salle d’un mauve épiscopal que sont réunis les portraits explicitement traités selon une imagerie édulcorée et hagiographique (Christian Boltanski en "Saint Vincent de Paul", Lio "La madonne au cœur blessé" avec Lio, Arielle Dombasle en "Extase").
L'érotisation du corps masculin
Impossible de ne pas évoquer la propension de Pierre et Gilles pour les jeunes éphèbes et les corps musclés que l'on associe systématiquement à l'iconographie gay.
Ces archétypes sont une constante transhistorique de la représentation artistique du nu masculin et de l'homoérotisme.
Dès lors, et nonobstant l'identité homosexuelle des deux artistes, cela n'implique pas le rattachement systématique et exclusif à une subculture quelle qu'elle soit.
Cela étant, cette exposition est tout simplement passionnante. Un espace documentaire permet de consulter les différents ouvrages consacrés à l'oeuvre de Pierre et Gilles et diffuse une vidéo comportant un entretien et un reportage sur leur travail.
Et ce qu’il y a d’extraordinaire c’est la douceur de leurs visages et de leurs regards émerveillés d'enfants à l'innocence que l'on veut croire préservée. |