En première partie on découvre la micro-sensation débarquée
d’Angleterre Kaito, un rock gentiment énervé
et fashion tellement dans l’air du temps, cette nouvelle vague qui ressort
ses cuirs et les guitares a parfois des singles imparables qui justifient leur
présence écrasante mais ici le single se cherche encore et les
efforts sont réels : la chanteuse opte pour une posture farouche en sous-Sleater-Kinney
mais qui pourrait apparemment faire aussi bien sous-n’importe-quoi
et un guitariste qui s’amuse ostensiblement avec ses effets pour donner
un peu de dynamique à la rythmique de croisière. Le groupe s’inscrit
dans un tatapoum correct et comme ce sont des amis d’amis d’ami
je n’insiste pas sur l’évidence que les ficelles sont un
peu grosses pour y croire vraiment.
Ensuite un intermède dont le nom ne passera pas à la postérité
d’une part parce que la blonde en noir ne s’est pas présentée
et d’autre part parce que sa prestation déconcerte plus qu’elle
n’étonne. Quelques chansons en freestyle rock’n’roll
a capella et des chansons sur deux accords (deux accords pour toutes les chansons
et non par chanson !) agrémentées d’une voix rocailleuse
persuadent de l’anachronisme de l’attitude.
Liars a peut être un look aussi improbable que ses premières
parties, le groupe n’en dégage pas moins une présence lourde,
radicale et fière. Cette aura prend une toute autre proportion quand
la musique fuse. Le trio prend place avec un batteur en mini-jupe à paillettes
qu’on oubliera assez vite pour se focaliser sur Aaron Hemphill
qui assurera l’essentiel de la densité sonique du set en martyrisant
à qui mieux mieux sa six cordes ou un sampleur, et Angus Andrew,
un grand échalat imprévisible de deux mètres qui sévit
au microphone quand il ne se sample pas, tour à tour sombre et écorché
vif, mais toujours dingue.
Le set dévoilera une musique très éloignée de l’art-punk
du dernier album They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument
on Top qui remettait Gang of Four au goût du jour
et nous offrait surtout une pelletée de tubes énormes à
la fois festifs, rock’n’roll et bien foutus. Pour donner une idée,
le groupe va même au delà de son dernier titre "Dirt makes
the Mud" opressant et jouissif à souhait (jusqu’à
ce que cela se boucle tout de même) en refusant tout ce qui peu donner
prise à une mélodie ou à un format classique. C’est
donc désormais d’avantage vers la no-wave que lorgnent les new-yorkais
d’adoption, le concert prenant la forme d’un happening destroy sans
filet qui rappelle parfois dans l’intention les orages soniques de Black
Dice. Le chanteur traduit bien cette folie pathologique communicative :
des paroles absconses répétées en boucle et sans relance
et une attitude qui n’a rien à voir avec la sempiternelle singerie
dérivée de Jagger.
On n’est pas dupe du fait que le groupe est là pour du spectacle
mais le résultat est indubitablement très prometteur pour le prochain
album qui s’annonce à la fois ambitieux et surtout casse gueule,
en d’autres termes qui aura plus de chance d’être chroniqué
dans Wire que dans Rock & Folk.
Ce retournement violent est en effet assez courageux voire suicidaire mais
le groupe semble ne pas douter de son choix, ne serait ce que par un parti pris
de ne pas s’appuyer sur leurs succès précédents en
réaction à l’assimilation avec la vague de groupes revivals
formatés qu’on a connu (ouf elle est passée!). Le jusqu’au
boutisme d’Aaron fascine ainsi encore plus que le chanteur par ses trouvailles
pour dynamiter la chape de plomb qui s’abat sur les morceaux et les faire
malgré tout morbidement aller de l’avant ,ou du moins quelque part,
participant à l’élaboration d’un processus de déconstruction
acharné. Cette entreprise expérimentale revisite les ambitions
d’une certaine musique industrielle avec un bagage "rock" et
s’avère à la fois convaincante et surprenante.
Au final on n’était certes pas venu pour assister à cela,
l’idée en poussant la porte de la Boule Noire c’était
plutôt de s’oublier en sautant contre les murs sur les éclats
de "Mr. Your on Fire Mr." , mais au delà de l’expérience
du concert assez déconcertante, on se réjouit que le groupe ait
un avenir et de l’ambition à revendre.
On attend avec impatience le prochain album qui sortira l’an prochain
et qui s’appelle They were wrong, so we drowned
, titre évocateur à souhait. Vivement demain.
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