La fille est jolie, tu cherches à l'impressionner, un peu. Appuyé sur ton impeccable cinq portes familiale au taux d'émissions carbone écologiquement acceptable, tu fumes ta cigarette avec des airs de biker de l'enfer. Tu es le rock'n roll, tu es le sexe. Tu n'as jamais oublié tes racines blues, ton devenir funk, tes tentations souls. Ta face noire. Animal, tu sors de la jungle avec ce regard étudié de prédateur, par en-dessous.
La bande son ? Pourquoi pas le nouvel album de The Heavy, The house that dirt built ? Vintage dans les sonorités comme dans l'esprit, truffé de petites pépites nostalgiques, jusqu'à cette demi-reprise de Screamin' Jay Hawkins ; "Sixteen", qui récupère l'instrumentation (toujours aussi incroyable tant d'années après) de "I put a spell on you" et, d'autres mots à la bouche, s'en réapproprie le chant.
Deux ans après un premier opus déjà remarquable (Great Vengeance and Furious Fire, 2007), le quatuor grand-breton remet sur les fourneaux sa délicieuse mixture aux goûts authentiques. Très loin du simple tribute band, la formation parvient à produire aujourd'hui les classiques d'hier avec une facilité confondante. "How you like me now ?" et "Oh no ! Not you again !" ont ce côté james-brownsien frénétique, imparable. "What you want me to do ?" sent le blues blanc, anglo-saxon et peut-être même protestant, façon Doors ou Led Zeppelin. "Cause for alarm" s'offre même un pas de côté vers le reggae originel, celui de Marley et ses Wailers, avec ses relents de folk-rock, sans l'affectation d'un genre musical. Ce qui n'empêche pas quelques détours par un rock plus heavy, justement, avec "No Time" par exemple. Bref : tout ce qu'il faut pour te rappeler tes années sauvages. Avant d'être cadre moyen dans un petite/moyenne entreprise, tu étais indomptable. C'est toujours en toi, juste là.
La fille est jolie, te donne des ailes. L'envie d'elle. L'envie de toi, même. Te retrouver pur-sang, le tien ne faisant qu'un tour. Galoper nu dans le vent. L'esprit des plaines, des esclaves, des insurgés. Ses yeux sont sur toi comme tu avances vers elle. Tu sens t'envelopper cette aura de danger. L'envie de lui jeter sort. The Heavy s'en charge pour toi, la voix haut-perchée ET rauque (?!) de Swaby chante "Love like that". Tu es l'amour ; du genre que l'on fait, pas du genre dans lequel on tombe. Tu ne tombes pas dans le panneau. Pas toi. Jamais.
Travelling avant, jusqu'au close-up sur son visage. Elle s'appelle Ursule. Tu lui dis que tu l'as dans la peau. Délicieusement désuet. Elle sourit, cinémascope. Tu lui demandes si elle connaît The Heavy. Vous allez chez toi pour écouter le disque en buvant du whisky-coca. Avec modération ? Baste !
Tu lui montres ta vieille collection de 33t, vous parlez de musique pendant des heures. Bientôt tu te tais, tu l'écoutes te raconter ses années américaines, ses soirées avec Fogerty, Hendrix, Joplin... un continent d'Est en Ouest, jusqu'à l'océan... Qui est cette fille ?!?
The house that dirt built s'ouvre sur un extrait de la bande annonce du film d'horreur (vintage lui aussi !) Don't go in the house (Joseph Ellison, 1980), avertissant l'auditeur qu'il met les pieds en terrain dangereux. L'aura de danger du rock et de tous ses avatars. La démesure, la violence de la passion, l'absence de limites, l'inconnu. N'entre pas dans la maison. La fille est jolie. Mais tu n'es pas de taille. Elle va te bouffer tout cru, ma tante Ursule. Ursule. Dangereusement belle. Négresse blanche. Frisson vaudou, sacrifice de l'âme, machine à sexe – bien trop à rêver, la nuit dernière... |