Texte de Emmanuel Darley, mise en scène de Michel Didym, avec Jean-Claude Dreyfus et et Philippe Thibault.
Jean-Pierre, devenu Marie-Pierre, vient chaque mardi s'occuper de son vieux père, journée dont le point d'orgue est constitué par les courses faites en commun au Monoprix de quartier où tout le monde se connaît qui chaque fois tourne à la mortification.
Alors bien sûr, dans "Le mardi à Monoprix", les thématiques de la différence et de l'exclusion au quotidien sont présentes dans le très beau et sensible texte de Emmanuel Darley. Mais surtout la souffrance d'un être hypersensible qui avance pas à pas, comme un funambule, sur le fil de son destin, pas assez fort pour rompre avec le passé, pas assez entouré pour ne pas sombrer dans la solitude, pas assez indifférent aux autres pour se forger un futur.
Et pourtant, elle ne demande pas grand chose, Marie-Pierre : la simple reconnaissance de ce qu'elle est, ni invisible, ni bête curieuse. Un regard et quelques paroles de bienveillance. Mais la réalité est sans pitié : le regard du père qui l'ignore et l'évite, le regard des autres qui se gaussent.
Pour la parole, un peu comme la chanson de Brel, "chez ces gens-là on parle pas" et quand le père, tyran domestique, ouvre la bouche, ce n'est que pour rabrouer, évacuer une bile d'orgueil sans doute blessé, lui qui est resté dans ce quartier où tout le monde sait, et lui jeter à la face l'incongruité de son travestissement tel "Tu fais ta petite bonne femme" alors qu'elle a une carrure de déménageur.
Michel Didym a opté pour une mise en scène qui évite le néo-naturalisme et une dramaturgie à deux voix, celle du comédien et celle de la contrebasse de Philippe Thibault, auteur de la partition musicale exécutée en live, qui prend la forme d'une complainte qui scande la plainte oralisée qui commence comme un soupir de l'âme et un pleur du coeur pour, peu à peu, s'amplifier sans trouver aucune aspérité d'humanité à laquelle se raccrocher.
Le comédien c'est Jean-Claude Dreyfus, acteur flamboyant qui dispose d'une palette de jeu à 180 degrés, capable de la pure folie comique (en diable hénaurme dans "Petit traite de manipulation à l'usage des honnêtes gens") à l'austérité expressionniste (avec la poésie de Rictus dans "Les soliloques du pauvre") en passant par le naturalisme de Valletti ("Réception").
Pour cette traversée en solitaire entre narration et soliloque, à l'écriture très élaborée et difficile, proche dans sa structure de la langue classique, en robe fleurie et talons hauts, chignon bouclé, œil charbonneux et ongles rouge sang, il a le cœur en vrille et navigue toujours subtilement dans l'incarnation entre les écueils de la caricature et du mélo populiste grâce à une gestuelle distanciée.. Il est magnifique.
PS : Ne pas oublier que cela peut se passer au coin de la rue et que les autres c'est aussi nous.