Voyez-vous, braves gens, regardez par là, juste derrière-vous, oui, exactement là. Vous voyez la montagne là-bas ? Oui, celle qui a le bout du nez tout blanc. Dirigez-vous vers elle, tout droit, traversez la forêt des loups, puis le brouillard maléfique, puis les lacets diaboliques et vous arriverez tout pile dans mon jardin. Asseyez-vous dans le transat à rayures (pas celui à carreaux, c’est celui de mon voisin, il n’est pas commode… le voisin, pas le transat).
Bref, de cet ersatz de fauteuil, vous verrez le côté pile de la montagne, du côté où je me suis demandée pendant de longues années ce qui pouvait bien y avoir de l’autre côté (votre côté face). Ma théorie la plus plausible penchait vers des lépreuchauns, des petits êtres insaisissables qui galopaient dans tous les sens. Mais j’avais complètement faux, c’est moi qui suis du côté des petites personnes. De votre côté se trouve un endroit magique où se produisent certains soirs des phénomènes quasi-paranormaux. Le Fil…
Bon, c’est sûr qu’il lui fallait du courage dans les deux mains à DJ Mush-de-la-première-partie. Un homme aux mains de pick-pocket, avec des doigts d’araignée qui bipent par-ci, qui truc par-là, qui découpent, qui assemblent, qui mélangent des petits bouts de sons de partout, avec un grand bidule tout plein de boutons qui tournent, qui s’enfoncent, qui s’éclairent sur la table de mixage format tableau de bord d’A320.
Parce qu’il n’avait pas tellement l’attention du monde, la mienne non plus, j’avoue, mais ce fond de boite à rythme me fait penser à ma machine à laver en mode essorage 1200 tours, ça fait vibrer le sol et ça me donne envie de changer de pièce… mais il s’en fout, il continue, et termine enfin, avis aux amateurs, il a des fans dans la salle. Des connaisseurs qui ont tout de suite repéré la nécessaire introduction en forme de rétrospective de la scène trip-hop anglaise…
C’était le prélude pendant lequel ma raison s’est envolée. Je planais donc déjà à dix mille pieds quand j’ai cru voir un taliban sur la scène, non, c’était plutôt un membre du FLNC (si, le gang introuvable que la presse interview tous les matins)… pas le temps de réfléchir, voilà des talons roses Barbie qui arrivent.
Premières notes, je reviens vite dans mes chaussettes, c’est Martina Topley Bird et son Ninja muet. Introduite par "ninja", elle nous salue sobrement, traverse la scène en souriant, faisant froufrouter son mini tutu rose bonbon, s’assied sagement derrière son clavier, ajuste son boa en plumes de corbeau et c’est parti.
Je me perds en superlatifs pour décrire le phénomène. Sa voix est simplement exceptionnelle, grave, douce, profonde, et à la fois fragile, puissante et émouvante. Son style trip-hop, c’est un tutu rose, un regard paillettes et des plumes de corbeau. Sur une base hip-hop, des airs de soul, du jazz, de la pop, du rock, des berceuses et des chants de Noël, une sublime reprise des Stranglers. Du kiss kiss, au Da da da avec le public, en passant par du capella, elle sait tout faire.
Elle file au fond et revient avec un auto-radio volé, il y a encore les câbles qui pendouillent ! En fait, c’est ça son défaut, elle n’a qu’une seule bouche, donc elle est obligée d’utiliser un sampler pour enregistrer ses mélodies sur des tons différents. Les passer en boucle, comme s'il y avait plusieurs Martina Topley Bird, magique.
Des échanges amicaux avec le public, en français s’il vous plaît, elle trouve même "cool" les gens qui ne la connaissaient pas. Elle fait même une petite pause pour nous écrire une chanson vite fait bien fait, et reviendra une seule fois, pour une reprise de "Marlène" de Noir Désir, et un aperçu du tout de tout, hop guitare, hop clavier, hop micro, trois petits tours et puis s’en va.
Oui, elle sait tout faire, une resplendissante diva du trip-hop britannique, classe et flamboyante, c’est paranormal ça, non ? Restent les étoiles dans les yeux, des bulles qui font plop-plop à chaque battement de cœur, je devais être la seule à ne pas connaître dans la salle… Qu’est-ce que je foutais avant ? Elle a commencé dans les années 90 avec Tricky ... Et Massive Attack… Et bien, euuuhh, j’avais piscine ? |